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16 juillet 2017 7 16 /07 /juillet /2017 12:58

 

RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Partie 46)

 

 

V

Voici le bien et voici le mal,

Oh ! Reprends-les, je ne les veux pas,

Fais seulement que j’ai le PUR AMOUR !

 

La maladie.

Les jours d’avril sont maussades, quoique le temps s’adoucisse : tombe une pluie fine, suivie d’un vent froid, temps habituel à cette époque en Lorraine. Pierre a d’abord décidé de ne pas aller travailler. C’est lundi, il se sent mal, a quelques nausées, et porte souvent la main au niveau de l’estomac. En se levant, il dit à son épouse, Thérèse : « J’ai des aigreurs ». Puis, comme de coutume, il s’est habillé, a pris son petit déjeuner, et s’est rendu au lieu de travail, à pieds, à deux kilomètres de son domicile.

Le patron l’a accueilli fraîchement, maugréant après son départ, du côté de son épouse : « Ces ouvriers, tous des fainéants ! Un rien, et ils ne peuvent pas travailler ! C’est quand même malheureux, tu ne crois pas ? »

Les douleurs étant trop vives, Pierre a quitté son lieu de travail, un peu penaud, ayant mauvaise conscience de ne pouvoir travailler, moralement diminué : « Mais, songe-t-il sur le chemin du retour, ce n’est qu’une mauvaise passe ». Il a travaillé sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui, sa femme et ses enfants n’ont jamais eu faim, il continuera : la forme physique reviendra, aussi mystérieusement qu’elle a disparu.

De retour à son domicile, un peu honteux, il se déshabille et se glisse à nouveau sous les draps encore chauds du lit, et sommeille, tranquille.

L’après-midi, il s’assied dans ce qui sert de salle de séjour, le jour, et de chambre à coucher pour la plus jeune fille, la nuit. C’est la plus grande pièce d’un appartement exigu de trois pièces cuisine d’une habitation à loyer modéré.

Il gémit, disant d’un ton plaintif : « Jésus, Marie, Joseph ! ». Thérèse, ne supportant pas son mari à la maison, réplique d’un ton violemment sec : « Allons, donc ! Tu n’as rien ! », Puis persifle et rabroue : « Tu n’as qu’à boire moins ! »

Le visage de Pierre se décompose. Cela lui arrive rarement, mais il a été blessé vraiment au plus profond de son amour-propre. Il s’écrie avec véhémence : « Ah ! Je n’ai rien ? Si, j’ai mal, et je voudrais bien que tu aies ce qui me fait si mal au bout de ta langue ! »

Pour la première fois depuis longtemps – depuis très longtemps – Pierre sent des larmes lui monter aux yeux. Sa glotte fat quelques mouvements de haut en bas. Le remarquant, effrayée, Thérèse préfère quitter la pièce.

Pierre, assis sur le sofa, s’essuie le visage d’un revers de la main, puis sombre dans la méditation, les yeux vagues et perdus vers le mur d’en face. Il se rappelle sa vie passée. Et il voit une longue plaie. Oui, sa vie comporte beaucoup de souffrances, souffrances à la fois personnelles et infligées aux autres. Il revit le travail pénible, les coups reçus comme apprenti, les divers postes occupés, la chaleur lourde et insupportable au milieu de laquelle il pétrit le pain. Ah ! Si ses enfants pouvaient ne pas connaître cette vie de chien, ce serait bien ! Comme elle a commencé, sa vie s’est poursuivie, sans fin. Il a changé plusieurs fois de patron, mais chaque fois, il trime, ne rencontrant que sueur et tâches ingrates.

Bien sûr, il y a heureusement quelques moments de bonheur, des sourires, comme la rencontre de son épouse Thérèse, la naissance de ses enfants et quelques joies partagées. Mais le passé lui laisse beaucoup d’impressions de remords et de douleurs vives. Arrivé aux jours d’aujourd’hui, il réfléchit profondément, faisant le tour de ses connaissances et des visages connus, puis soupire profondément : « Personne ne m’aime, non, personne. Heureusement que je m’aime moi-même. » Cela lui fait esquisser un rictus ironique. Vraiment, rien ne va comme il veut, et maintenant, en plus, cette maladie !

« Demain, je verrai le médecin. Il saura bien me guérir. Il faut bien que je travaille : sinon qui va nourrir mes enfants ? Ils sont encore jeunes, et ont besoin de moi ! », Répétant cela dans sa tête, à plusieurs reprises, comme s’il veut absolument s’en convaincre, « Mais je les ai déjà tous tant fait souffrir ! ».

Sa mémoire le conduit cinq années en arrière : la famille vit alors dans une mansarde lugubre et sale, quoique très bien entretenue d’un bâtiment délabré. La lumière, rare, n’entre que par de petites fenêtres, une partie de l’appartement demeurant dans une obscurité continue en raison de fenêtres murées. La cuisine, humide l’été et froide l’hiver, chauffée alors à l’aide d’un grand fourneau au charbon, est la pièce où toute la famille vit, mange, se lave, exécutant parfois tout cela à la fois et en même temps. Le soir, les deux fils, Joseph et Jean, réunis sous une même lampe, font leurs devoirs d’école, et Madeleine, la plus jeune fille, s’adonne à des jeux de poupées. La mère, Thérèse, ayant astiqué l’appartement toute la journée, fait les courses, lavé le linge à la main, après l’avoir chauffé dans une lessiveuse, allumé et entretenu le fourneau, se repose.

Plus tard, le soir, vers vingt-deux heures, tous, anxieux, guettent le retour du père. Soit que le patron l’ait particulièrement brimé et houspillé, soit qu’il se sente inutile, Pierre est passé par de nombreux bars, et le voilà ivre et titubant. Parfois, il rencontre sur son chemin une ou deux âmes charitables qui l’aident à surmonter les diverses embûches et le portent jusque chez lui. Ah ! La journée a été si dure, et l’avenir ne laisse rien espérer de mieux !

 

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