L’AMOUR
Ayant rédigé cette planche, alors que dans le monde profane se déroulaient l’affaire DSK, celle du Carlton de Lille et l’assassinat d’Agnès, je me permets de dédier cette planche, comme un joyeux pied de nez, aux frères et ex-frères notamment impliqués dans l’affaire du Carlton de Lille. Toutes ces affaires ont un point commun : elles renvoient à une conception patriarcale de la femme, à la fois mère vénérée, vierge intouchable, d’une part, prostituée et objet sexuel que l’on baise, bat et tue, d’autre part et donc à une conception bourgeoise et décadente de l’ « amour » tarifé.
Le point de départ de la planche est l’Amour fraternel. Ainsi que l’invoque le vénérable maître, lors de la chaîne d’union, n’oublions jamais que l’amour fraternel est la base, la pierre angulaire, le ciment, la gloire de notre vieille confrérie.
Dans une première partie, je vais détailler trois symboles qui me paraissent bien représenter cet amour fraternel. Puis dans une seconde partie, j’examinerai l’Amour en relation avec son opposé, la Haine. Enfin, dans une troisième parti, j’analyserai l’Amour fraternel tant par rapport à l’Amour en général que par rapport à la conception qui est la mienne aujourd’hui : quand je dis « aujourd’hui », cela veut dire par rapport à mon âge qui n’est plus la jeunesse mais qui est la fin de la maturité et le début de la vieillesse. En quelque sorte, c’est un âge où le fruit commence à se séparer du noyau. En quelques mots, l’Amour fraternel ne peut se concevoir sans son double, qui est la Haine, mais il y a aussi un au delà de l’Amour et de la Haine.
Première partie : L’Amour en maçonnerie :
Voici trois symboles de l’Amour maçonnique : Le Lac d’Amour, la Chaîne d’union, et la rose-croix. Ce sont là trois occasions, parmi d’autres sans doute, où l’on rencontre le thème de l’amour dans le rituel.
· D’abord la décoration de la Loge : le lac d’amour. C’est le signe de l’infini, à savoir, deux cercles reliés par un point. Un point central relie deux cercles ou huit couché. Ce point est un passage que l’on peut prendre dans un sens et dans l’autre sens. C’est une union de contraires : la vie, la mort ; le beau, le laid ; le bien, le mal ; la paix, la guerre, etc. Les lacs d’amour symbolisent les liens qui unissent les membres d’un corps social ; par leurs enlacements répétés : ils expriment une union jusqu’à la mort.
· Ensuite, second symbole, lors du rituel : la chaîne d’union. Remarquez que chaque frère (ou sœur) forme une croix avec ses bras sur son cœur. Le cœur est symbolisé par une rose, siège et symbole de l’amour. Pour former une chaîne d’union, il faut au minimum la présence de trois frères. Si l’on observe bien, trois frères forment avec leurs bras le signe de l’infini. Les deux frères, à chaque bout, sont prêts à accueillir un nouveau maillon. Une chaîne d’union est donc le signe d’infini ou lac d’amour à l’infini, puisqu’il est composé des frères (et sœurs) présents, mais aussi des frères (et sœurs) passés, et futurs. C’est donc un signe d’entraide et de fraternité. Cela peut se traduire par le fait que, seul on n’arrive à rien. C’est la primauté du collectif sur l’individuel, la primauté de l’amour sur l’égoïsme.
· Enfin, troisième symbole, le signe d’ordre du 18° grade : la rose-croix. Le rose-croix est l’union de deux symboles, la croix et la rose. La croix est le symbole du corps. Il indique que nous sommes des êtres matériels, bien enfoncés en terre. La rose renvoie au principe spirituel qui nous constitue, qu’on l’appelle l’âme, l’esprit ou la conscience. Cela indique la nature double : corps et « âme », la conscience, de l’homme. L’amour présente à la fois un aspect physique, le corps, et un aspect psychique, la conscience, l’imagination.
Le Cantique des Cantiques attribué à Salomon est l’un des plus beaux poèmes sur l’Amour :
Saper Ha Zohar : Il est écrit : « Telle la rose parmi les épines » (Cantique, II : 2). Que désigne la « rose » ? La communauté d’Israël. Et comme la rose est rouge ou blanche, la communauté d’Israël vit tantôt dans la Rigueur, tantôt dans la Clémence. »
Dialogue de Dieu avec Israël ? Dialogue du Christ avec l’Eglise ? La tête avec le corps ? Dialogue du moi inférieur avec le moi supérieur et mariage alchimique ? Ou simplement amour de deux personnes ?
La rose est l’âme, la conscience, l’esprit, qui s’épanouit par l’intermédiaire ou la médiation de la croix, le corps, à travers les diverses épreuves bénéfiques et maléfiques : « Que la rose fleurisse sur ta croix ! ».
Amour fraternel : il s’agit de l’amour le plus élevé, de l’amour chevaleresque. Le Pélican donne les preuves de l’amour, il se sacrifie, s’immole car il est prêt à mourir pour ceux qu’il chérit, aime, ses petits. Et bien sûr, contenue dans cette image, l’idée de transmission : le Chevalier Rose-croix s’engage à donner, à transmettre ce qu’il a reçu.
L’Amour du (et dans le) symbole : réunir ce qui est épars. Sumbolon et diabolon.
L’amour est l’âme du symbole, puisque celui-ci est la réunion de deux parties séparées de la connaissance et de l’être. L’erreur capitale de l’amour est qu’une partie se prenne pour le tout.
Le symbole, ou Sumbolon, est ce que l’on jette ensemble, c’est la réunion de deux parties. Le symbole comporte donc une force de cohésion qui tend à l’unité. Cela est opposé à Diabolon, c’est-à-dire ce que l’on jette de part et d’autre. Le diable est donc une force de division, qui tend à séparer.
L’Amour assure la continuité des espèces et la cohésion interne du Cosmos. L’amour tend à surmonter les antagonismes, à assimiler des forces différentes, à les intégrer dans une même unité. En ce sens, il est symbolisé par la croix, synthèse des courants horizontaux et des courants verticaux ; par le binôme chinois du yin-yang.
D’un point de vue cosmique, après l’explosion de l’être en de multiples êtres, c’est la force qui dirige le retour à l’unité ; c’est la réintégration de l’univers, marquée par le passage de l’unité inconsciente du chaos primitif à l’unité consciente de l’ordre définitif.
Le moi individuel suit une évolution analogue à celle de l’univers : l’amour est la recherche d’un centre unificateur.
Il convient d’insister sur l’adhésion nécessaire du témoin avec le symbole. C’est la page blanche, sur laquelle s’écrit le poème, le tableau blanc qui porte la peinture, le fond, l’écran sur lequel se déroule le film. Sans cet arrière-fond, il n’y a rien, sinon un décor factice, de carton mâché.
En conséquence il en résulte qu’il faut appréhender la dualité formée entre l’Amour, force de cohésion et d’unité, et la Haine, force de séparation et de division.
Deuxième partie : L’Amour et la Haine :
Le cycle d’Empédocle : Amour-Haine et les quatre éléments : Quelle est la conception de l’amour du philosophe grec, Empédocle ? Dans sa cosmologie, Empédocle conçoit ainsi l’Amour.
Le monde passe par quatre cycles.
Dans le premier cycle, c’est le chaos, et l’équilibre du chaos. Les quatre éléments, la terre, l’eau ; l’air et le feu sont mélangés. C’est la confusion. C’est le règne de la Haine. Les éléments luttent les uns contre les autres. C’est la guerre de tous contre tous. Tout va mal. L’amour est chassé hors du monde. Les choses sont mélangées, et il y a confusion. La confusion et le chaos, règnent :
· Confusion des sexes : il n’y a plus de différentiation entre le féminin et le masculin ;
· Confusion des âges : il n’y a plus de différenciation entre les divers âges de la vie, l’enfance, la jeunesse, la maturité et la vieillesse. C’est le règne du « jeunisme »
Dans le second cycle, période de déséquilibre, les éléments s’organisent. Il y a construction et ordonnancement. L’Amour se met au travail, et fait reculer la Haine.
Dans le troisième cycle, les quatre éléments s’interpénètrent harmonieusement : c’est un nouvel équilibre, l’équilibre de l’ordre. C’est le règne de l’Amour. C’est l’ordre après le chaos. Règne la paix profonde et l’harmonie. Tout est joie. Tout est bien. La haine est chassée hors du monde. Chaque chose est à sa place, et à la bonne place.
Dans le quatrième cycle, période de déséquilibre, la Haine entre à nouveau en guerre avec l’Amour, et fait reculer celui-ci. Il désorganise le monde et crée le désordre et la démesure. Les quatre éléments entrent en conflit et se désagrègent.
Puis le cycle recommence, ainsi, éternellement, faisant alterner l’Amour et la Haine.
C’est un cycle qui se déroule tant dans la nature (par exemple les quatre saisons), que dans la société des hommes ou dans la pensée individuelle.
Ce mythe symbolique permet de mettre l’accent sur quelques caractéristiques de l’Amour.
Les caractéristiques qui apparaissent d’ores et déjà, sont les suivantes :
· On ne saurait concevoir l’Amour, sans son opposé, la Haine. Haine et Amour sont les deux côtés de la même pièce.
· L’Amour est une force qui unit et harmonise, qui apporte la joie, la paix et l’ordre. On peut dire que l’Amour est « ce qui unit ce qui est épars ». Sumbolon : l’amour, c’est ce qui jette ensemble. Inversement, la Haine est ce qui divise, ce qui détruit et désorganise. Diabolon : la Haine est ce qui jette de part et d’autre.
· Amour et Haine sont tous deux indispensables. Dans la nature, dans la société, dans le monde, il y a des forces qui agglomèrent, unissent, créent la vie, et d’autres forces qui divisent, condamnent à disparaître, font mourir. Et les deux sont indispensables à la bonne continuation de la vie. L’Amour est une force de cohésion. C’est par exemple l’énergie qui unit le noyau et l’électron dans l’atome, et les atomes entre eux pour former des molécules. La Haine est une force de dislocation qui fait disparaître un élément pour en créer un autre. Dans la société, l’Amour est ce qui nous fait vivre ensemble. Et la Haine, c’est la rupture, comme la révolution française, qui fait émerger d’une société féodale, une nouvelle société.
· Enfin, l’Amour est le résultat d’une lutte. Dans cette lutte, il faut accepter des retours en arrière, des échecs. Et l’homme est un artisan qui peut choisir de travailler soit pour l’Amour, soit pour la Haine.
De ces deux parties, nous pouvons donc en déduire les éléments suivants :
· Les symboles maçonniques sont l’affirmation, lors de chaque rituel, de la prééminence du pôle positif du couple Amour-Haine,
· Mais le second aspect, la Haine, demeure toujours présent, que ce soit par les métaux dans le temple, ou les divers mauvais compagnons : le fanatisme, l’ignorance, les différences de classe sociale, la jalousie, etc.
· L’Amour se transforme en son contraire, la Haine, qui à son tour se transforme en Amour : cela renvoie au Tao, avec le yin et le yang, un peu de yin dans le yang et un peu de yang dans le yin.
· L’Amour fraternel est donc une lutte constante et permanente. L’Amour, comme l’union, est un combat.
· Ce processus se déroule dans la nature, la société et la pensée humaine. Il se reproduit, non en cercle, mais en spirale, allant du moins vers le plus, de l’unité du chaos à l’unité de l’ordre nouveau.
(Ce raisonnement sur la dualité aurait pu être mené sur toute autre dualité : Jour-Nuit, Lumière-Ténèbres, Vie-Mort, Vertu-Vice, Joie-Tristesse, Sagesse-Folie, Blanc-Noir, etc.)
Troisième partie : L’Amour fait partie du film/ L’écran blanc/ Au-delà de l’Amour et de la Haine :
Difficile de définir l’Amour, car dans la langue française, on aime les bonbons, le jazz, mais on aime également son chien, la femme ou l’homme de sa vie, on aime des êtres fantasmagoriques, comme « dieu », on aime lire, on aime aller au cinéma.
Les formes d’amour : deux amants, maternel, filial, etc.
Afin de préciser ma conception de l’Amour, j’insisterai sur trois points :
· La relation entre l’Amour et la sexualité, entre la rose et la croix, entre le corps et l’esprit ;
· La déclaration de l’Amour et sa construction ;
· L’au-delà de l’Amour (et de la Haine).
III.1) Amour et sexualité : L’amour est plus vaste que la sexualité. Ne pas nier la sexualité, mais lui donner sa juste place. Aujourd’hui : pas parler de sexe, mais de genre.
« Le genre est situé au-dessus, et le sexe en-dessous, de la ceinture. » Dr Harry Benjamen.
« Le sexe, c’est ce que l’on voit, le genre, c’est ce que l’on ressent. » Dr Harry Benjamen.
« Le genre, c’est ce que l’on pourrait appeler le « sexe social ». ». Christine Delphy.
Le genre présente une connotation sociale. Le sexe fait référence aux différences physiques distinguant les hommes et les femmes, le genre aux différences non anatomiques (psychologiques, mentales, sociales, économiques, démographiques, politiques,…).
On ne naît pas homme ou femme, on le devient sous l’influence d’une éducation patriarcale.
Je reprends ici une analyse de Lacan : il n’y a pas de rapports sexuels. Dans la sexualité, chacun est à sa propre affaire. Il y a la médiation du corps de l’autre, bien entendu, mais en fin de compte, la jouissance sera toujours ma jouissance. Le sexuel ne conjoint pas, il sépare. La jouissance m’emporte loin de l’autre.
Pour la sexualité, le corps de deux personnes est en contact physique. Ce qui n’est pas forcément le cas dans l’Amour. Par exemple, je peux dormir à côté d’une personne sans éprouver de l’Amour ; mais une personne aimée peut se trouver à plus de 5000 kilomètres et le sentiment peut être tellement fort, comme si la personne était à côté de moi.
Le réel est narcissique, le lien est imaginaire. Dans l’amour, le sujet tente d’aborder l’ « être de l’autre ». La rencontre amoureuse : on part à l’assaut de l’autre, afin de le faire exister avec moi, tel qu’il est.
L’amour vient boucher imaginairement le vide de la sexualité. La sexualité, si magnifique qu’elle soit, se termine dans une sorte de vide. C’est bien la raison pour laquelle elle est sous la loi de la répétition : il faut encore et encore recommencer, tous les jours si l’on est jeune. L’amour est l’idée que quelque chose demeure dans ce vide, que les amants sont liés par autre chose que ce rapport qui n’existe pas. Le désir sexuel s’adresse dans l’autre, de façon toujours un peu fétichiste, à des objets corporels, comme les seins, les fesses, le phallus,…L’amour s’adresse à l’être même de l’autre, à l’autre tel qu’il est. Exemple : la tendresse amoureuse, l’amour conjugal, l’amour paternel ou maternel, l’amour filial,…
III.2) La déclaration de l’amour : Passage de la rencontre au point de départ : deux vies vont faire l’expérience de la renaissance d’un monde par l’entremise de la différence des regards. La déclaration est l’initiation à l’amour. Chacun se dit : « Je t’aime » et il est sous-entendu pour toujours, pour l’éternité. Il s’agit de faire descendre l’éternité dans le temps. C’est la promesse de la fidélité. Avec l’enfant, le Deux devient Trois. Dans l’amour, il s’agit de savoir s’ils sont capables, à deux, puis à trois et plus, d’assumer la différence et de la rendre créatrice. Il s’agit symboliquement de deux ou plusieurs âmes dans un même corps.
Dans une Loge, il s’agit d’une multitude de corps dans un seul égrégore.
Que m’importe d’exister si personne ne m’aime ? Nous ressentons notre existence avec acuité lorsque nous aimons et que nous sommes aimés en retour. Je n’existe que lorsque je suis aimé d’un amour que je partage. Nous sommes sexués, donc incomplet. Chacun de nous recherche sa « moitié ». Nous avons notre centre hors de nous même. L’éternité nous est promise par la reproduction. Ce qui nous distingue donc, ce n’est pas la faculté de penser (Descartes), mais la faculté d’aimer.
Dans le Banquet de Platon, Aristophane expose le mythe des « âmes sœurs » : l’amour est la quête par laquelle nous cherchons à retrouver la moitié de nous-mêmes dont les foudres divines nous ont amputés.
Avant d’aimer autrui, on s’aime soi-même : amour de soi, amour-propre et narcissisme.
L’amour nous incline à faire le bien de ceux que nous aimons.
« Je t’aime, dit saint Augustin, signifie : je veux que tu sois ce que tu es. »
L’amour n’est pas un objet, mais une relation entre êtres ou objets.
Sauf à dire que l’on peut aimer l’amour. De façon paroxystique, une telle relation confine au narcissisme. C’est le cas sans doute de don Juan et de Casanova.
Relation entre personnes signifie donc que ces personnes sont séparées.
La construction de l’amour : L’amour est une séparation, une disjonction, qui est la différence entre deux personnes, avec leur subjectivité. C’est le Deux. L’amour est une rencontre, élément contingent et hasardeux. C’est une façon d’expérimenter le même monde de façon neuve. La rencontre entre deux différences est un événement. Cela se fait sur la durée. L’amour est fusion, et cela le rapproche de la mort. Cela devient Un et extérieur au monde. « Les amoureux sont seuls au monde ». Un amour véritable est celui qui triomphe durablement. Laisser tomber au premier obstacle, à la première divergence sérieuse, aux premiers ennuis, n’est qu’une défiguration de l’amour. « Parce que c’était moi, parce que c’était lui (ou elle) » (Montaigne à propos de son ami Du Bellay). Que le monde puisse être rencontré et expérimenté autrement que par une conscience solitaire, voilà ce dont n’importe quel amour nous donne une nouvelle preuve. Il s’agit de construire une histoire partagée.
Ma conception de l’Amour : l’amour est l’expérimentation de la différence, c’est expérimenter le monde à partir de deux et non pas de l’un. C’est le monde examiné, pratiqué et vécu à partir de la différence, et non à partir de l’identité. C’est le projet, incluant naturellement le désir sexuel et ses épreuves, lorsqu’il s’agit d’un couple, incluant la naissance d’un enfant, dans le cas d’un couple hétérosexuel, mais aussi mille autres choses, qui sont vécues du point de vue de la différence. L’amour n’est pas le sacrifice de soi, l’annihilation de soi au profit de l’autre, mais une communion entre deux êtres.
III.3) Le regard : la vision : au-delà de l’Amour et de la Haine :
L’Amour n’est pas un objet. C’est un regard sur les choses et une relation entre personnes.
Lorsque l’amour vous a consumé, il n’y a plus d’ego. L’ego, n’est pas annihilé, il ne disparaît pas, ce qui est impossible. Mais il devient second, dissous dans le tout.
Qui suis-je ? Le seul travail à réaliser est de se connaître soi-même, à devenir ce que l’on est. J’ai un moi, je ne le suis pas.
L’ennemi principal de mon amour, celui que je dois vaincre, ce n’est pas l’autre, c’est moi, le « moi » qui veut l’identité contre la différence, qui veut imposer son monde contre le monde filtré et reconstruit dans le prisme de la différence.
Page blanche du livre. Le fond du mythe. Le silence entre deux bruits.
Jésus dans l’Evangile de Thomas :
« Jésus leur dit : « Lorsque vous ferez les deux (être) un, et que vous ferez le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas !Et quand vous ferez le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle, et lorsqu’à la place d’un œil vous ferez des yeux, et une main à la place d’une main, et un pied à la place d’un pied, et une image à la place d’une image, alors vous entrerez dans le Royaume ! »
Ce qui signifie que, dès lors que les couples d’opposés auront trouvé leur équilibre et seront enfin unifiés, que nos masques ne seront plus, que ce qui est pensé sera dit, que ce qui sera dit sera fait sans ambiguïté, sans crainte et sans mensonge, que nous ne prendrons plus les illusions de notre humanité et de ses créations comme des réalités, alors, nous entrerons dans le royaume, c’est-à-dire que nous serons pleinement et totalement éveillé.
L’amour est fort comme la mort ? (Dans le Cantique des cantiques)
Tout dépend de ce avec quoi on identifie le « je ».
S’identifier avec le corps, le mental ou l’esprit, c’est synonyme de joie, mais aussi de souffrance. Supposons que l’on ne s’identifie ni avec le corps, ni avec le mental, ni avec l’esprit. Je m’identifie tout simplement avec l’être, le « je suis », l’être-là.
Alors, je m « ’identifie » (dans ce cas de figure, il est difficile d’utiliser les mots et la parole : peut-on s’identifier avec l’être ? On est tout simplement) avec l’écran blanc, et non ce qui se joue sur l’écran blanc. Je m’identifie avec le « fond », l’universel. Avec la Vie. Dans ce cas, ma vie est à l’image d’une feuille de l’arbre, qui naît, se développe et meurt. Ce que je vis est quelque chose d’un ensemble plus vaste, la Vie. Je suis en quelque sorte la poupée de sel dissoute dans la mer.
Pour en revenir à DSK, et ses affidés, « petits loups » maçons ou non, c’est une catégorie de personnages décadents qui s’identifient avec le sexe, l’argent et le pouvoir, au sens d’apparat social !
En fin de compte, ceux qui s’identifient avec le corps, sont ceux qui sont complètement impliqués dans le film. C’est un problème d’oubli et d’ignorance : ils oublient et ignorent l’écran blanc. Ils sont donc dans le cycle de la vie et de la mort, et de toutes les autres dualités : paix et guerre, beau et laid, vie et mort,…
Le film de la vie se déroule avec des moments de bonheur et des moments de malheur, des hauts et des bas. Il y a de la guerre et de la paix, de l’Amour et de la haine. Cela brûle et mouille. Cela a un début et une fin. Et l’amour fraternel fait parti du film. Mais il y a un au-delà du film, qui est avant, qui sera après, qui n’est ni brûlé, ni mouillé, ni créé, ni détruit. C’est le fond où se déroule le mythe d’Empédocle. C’est l’écran blanc. C’est un au-delà de l’amour et de la Haine Si, à la fois, je suis complètement impliqué dans le film et si je m’identifie avec l’écran blanc, que peut-il m’arriver ? Où puis-je aller ? Une fois que je me suis identifié avec l’être, alors que « Je suis », je suis le témoin du film, tout en étant pleinement l’acteur. Je suis à la fois un combattant fidèle de l »’Amour fraternelle, mais aussi au-delà et témoin de la lutte que mènent l’Amour et la Haine. Dites-moi, alors, que peut-il m’arriver, et où puis-je aller, puisque je suis toujours parmi vous ?
C’est l’écran blanc, le noyau dans le fruit qui donnera naissance à un nouvel arbre, le fond de l’écran sur lequel se déroule la lutte entre l’Amour et la Haine.
L’humanité comprend plus de morts que de vivants disait un philosophe. Où sont les morts ? A cette question certains indiquent le ciel, d’autres indiquent la terre. Mais ne faut-il pas nous montrer nous-mêmes ? En effet, comme le dit Parménide, seul l’Etre est. Donc, avec un peu d’Amour, les morts sont parmi nous : les âmes, et plus précisément les cœurs des vivants, sont les tombeaux des morts.
Jean Bernard RITT