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10 mars 2023 5 10 /03 /mars /2023 14:44

Liberté, égalité, fraternité (Partie 28)

 

CHAPITRE IV

 

 

 

LE PARTI LENINISTE

 

 

 

« Le prolétariat n’a d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation. » Lénine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arme principale et indispensable de la révolution prolétarienne, le Parti marxiste-léniniste est né de la lutte des classes. Aussi pour qu’à la lumière du matérialisme historique et dialectique, soit plus claire sa conception est-il indispensable d’en connaître et d’en étudier la genèse ; c’est-à-dire sa formation progressive. Cette formation n’échappe pas à la loi du matérialisme dialectique.

« Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti (…) cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. Cela équivaut, précisément à faire sien ces défauts de la petite bourgeoisie que sont la dispersion, l’instabilité, l’inaptitude à la fermeté, à l’union, à l’action conjuguée, défauts qui causeront inévitablement la perte de tout mouvement du prolétariat révolutionnaire, pour peu qu’on l’encourage. » (164)

 

    1. LES APPORTS FONDAMENTAUX DE MARX ET ENGELS : LE PREMIER CONCEPT DE « PARTI COMMUNISTE »

 

Les débuts de la grande industrialisation capitaliste dans les pays occidentaux, en France notamment, se situent entre 1830 et 1850. Aussi trouve-t-on dans le Manifeste du parti communiste la première description et la première analyse du phénomène social et économique qui accompagne et caractérise fondamentalement le développement du capitalisme dès sa première phase. Dans ce document, Marx et Engels écrivaient :

« A mesure que grandit la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital… » (165)

Dans ce document, Marx et Engels décrivent le processus de développement de cette nouvelle classe produite par le capitalisme : le prolétariat. Quelles furent les conditions historiques dans lesquelles surgit le premier concept de « parti communiste » ?

« Le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est le véhicule passif et inconscient, remplace peu à peu l’isolement des travailleurs, né de la concurrence, par leur union révolutionnaire par l’association. » (166)

Marx et Engels exposaient également le programme du « parti communiste » non sans avoir préalablement précisé leur conception de ce « parti » par rapport à l’ensemble des prolétaires :

« …Les communistes ne forment pas un parti distinct, opposé aux autres partis ouvriers. (…) Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points :

  1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tous les prolétaires.

  2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. » (167)

Ainsi étaient formulés pour la première fois les premiers fondements de la doctrine du parti de la classe ouvrière. En effet, si Marx et Engels n’abordaient alors que la première démarche participant à l’élaboration théorique et à la construction pratique du parti du prolétariat, ils n’en proclamaient pas moins d’emblée, quatre principes fondamentaux :

  1. Le parti est internationaliste ;

  2. Le parti a pour but le renversement de la bourgeoisie, c’est-à-dire la révolution ;

  3. Le parti constitue l’avant-garde du prolétariat : « Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres. »

  4. Le parti est armé de la théorie révolutionnaire : « Théoriquement, (les communistes) ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

« Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination de la bourgeoisie, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. » (168)

 

L’échec de la Commune de Paris apporta ses enseignements « par la négative ». Il permit à Marx et Engels de dégager les principes que l’on a vus sur la question de l’Etat et de la dictature du prolétariat. Il permit aussi de déterminer des progrès dans la conception marxiste du parti du prolétariat.

L’une des raisons de cet échec est l’absence d’un solide parti prolétarien, la division des différentes organisations existantes et dans l’absence d’une direction exclusive de la classe ouvrière en France. Lors d’une réunion, du 17 au 23 septembre 1871, l’ « Association Internationale des Travailleurs » (A.I.T. dite depuis « Première Internationale ») adopta une résolution capitale sur la nécessité de créer dans chaque pays un « parti politique prolétarien » indépendant des formations bourgeoises et petites bourgeoises :

« Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct opposé à tous les anciens partis formés par les clases possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême : l’abolition des classes. (…) Les seigneurs de la terre et du capital se servant toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques et asservir le travail, la conquête du pouvoir politique devient le grand devoir du prolétariat. » (169)

De la conception des « communistes ne formant pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers » (1848) à celle de la « constitution du prolétariat en parti politique opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes » (1871) avait été parcouru à travers les luttes entre deux classes, le long et difficile chemin de la première élaboration du « parti du prolétariat », du « parti marxiste ». Mais une grande pratique restait encore indispensable pour consolider et enrichir, à travers de nouvelles épreuves et dans l’affrontement continuel des idéologies prolétariennes et bourgeoises, cette théorie marxiste du parti, sans laquelle n’aurait pu naître le parti « léniniste » de type nouveau qui dirigea 45 ans plus tard la première révolution prolétarienne victorieuse de l’histoire, la révolution d’Octobre.

 

    1. LENINE, FONDATEUR DU PARTI DE TYPE NOUVEAU. LE PREMIER PARTI MARXISTE-LENINISTE DE L’HISTOIRE, LE PARTI BOLCHEVIQUE

 

L’expérience de la révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie a été décisive pour faire avancer la théorie du « parti du prolétariat, du parti de type nouveau ». Lénine a formulé les principes de cette théorie applicable à la création comme à l’édification du parti avant et pendant la révolution prolétarienne :

« Certes, presque tout le monde voit aujourd’hui que les bolcheviques ne se seraient pas maintenus au pouvoir, je ne dis pas deux années et demi, mais même deux mois et demi, sans la discipline la plus rigoureuse, une véritable discipline de fer dans notre parti, sans l’appui total et indéfectible accordé à ce dernier par la masse de la classe ouvrière, c’est-à-dire par tout ce qu’elle possède de réfléchi, d’honnête, de dévoué jusqu’à l’abnégation, de lié aux masses, d’apte à conduire derrière soi ou à entraîner les couches arriérées. » (170)

Pour ce qui concerne l’édification et le rôle du parti après la victoire de la révolution, dans la phase de construction du socialisme, la riche expérience pratique et théorique de Lénine a été d’une durée relativement courte, mais elle a été recueillie et développée par Staline. Par la suite, après avoir tiré les enseignements positifs et négatifs de l’histoire du Parti communiste d’Union Soviétique tant à l’époque où il fut dirigé par Staline qu’à celle où il dégénéra du fait du révisionnisme moderne, Mao Tsétoung, en déclenchant la première Grande Révolution culturelle prolétarienne en Chine, a encore enrichi la théorie du parti de type nouveau en l’envisageant essentiellement dans la phase postérieure à la victoire de la révolution, sous la dictature du prolétariat. Au préalable, Mao Tsétoung avait déjà pratiqué une application créatrice des principes d’édification du parti marxiste-léniniste aux conditions spécifiques de la révolution chinoise.

 

QUELLES FURENT LES GRANDES LIGNES DU TRAVAIL D’EDIFICATION DU PARTI PAR LENINE ?

 

  1. Dans Que faire ? (mars 1902), Lénine développa les principes idéologiques du parti marxiste.

Le parti doit fonder sa ligne et son activité sur les principes idéologiques et organisationnels élaborés et défendus par Lénine à partir des enseignements de Marx et Engels, la thèse de la dictature du prolétariat et l’importance historique de la paysannerie comme alliée de la classe ouvrière.

Lénine proclame la nécessité d’un parti qui mène une lutte pratique et ne limite pas son action à des débats académiques. Il affirme que le parti devait « formuler dans son programme de la façon la plus claire son accusation à l’égard du capitalisme russe, déclarer la guerre au capitalisme russe. » Il défend le principe de l’internationalisme prolétarien, en soutenant la position marxiste concernant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Il fit adopter un programme minimum (pour la période de la révolution démocratique bourgeoise) et un programme maximum (prévoyant la victoire ultérieure de la révolution socialiste).

 

  1. Dans Un pas en avant, deux pas en arrière (mai 1904), Lénine développa les principes d’organisation du parti marxiste.

La lutte menée par Lénine fut acharnée à propos des principes d’organisation du parti. Ses adversaires, les mencheviks (« minoritaires »), ne rêvaient que d’un parti réformiste, conciliateur, sans structures d’organisation clairement définies, à l’image des partis opportunistes de la Deuxième Internationale. Leur opposition à la lutte révolutionnaire, ayant pour but final la dictature du prolétariat, s’accompagnait fort logiquement de leur refus d’un parti centralisé et discipliné. Lénine les fustigea sans faiblesse ; il expliqua avec fermeté la conception qu’il entendait voir appliquer à la qualité de « membre du parti », pour les dirigeants comme pour les adhérents de la base. Dans sa thèse figurait la formulation « que chaque membre du parti est responsable de tout le parti, et que le parti est responsable de chacun de ses membres ». Il proclama indispensable de « veiller à la fermeté, à la maîtrise et à la pureté de notre parti », ajoutant : « Nous devons nous efforcer d’élever toujours plus haut le titre et l’importance de membre du parti… »

A l’intense lutte de classes qui s’était déchaînée sur la question de la création du parti, lutte entre deux lignes, deux voies, deux idéologies contraires, celles de la bourgeoisie et celles du prolétariat, succéda une lutte de classes non moins aiguë pendant toute la période d’édification du parti, période marquée par l’essor et l’échec de la Révolution de 1905.

Aussitôt après les assises du 2° Congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) réuni le 30 juillet 1903, Lénine se mit à étudier soigneusement tous les éléments de ce Congrès : procès- verbaux des séances, résolutions, interventions de chaque délégué, regroupements politiques intervenus, documents du Comité central et du Conseil du Parti. Il rédigea à cette occasion l’ouvrage Un pas en avant, deux pas en arrière sous-titré : « La crise dans notre Parti » ; Lénine y traitait essentiellement des principes du parti marxiste en matière d’organisation et traçait à ce sujet une ligne de démarcation fondamentale avec les fantaisies et le libéralisme des spontanéistes et autres opportunistes.

 

  1. Dans Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution prolétarienne (juillet 1905) Lénine développa les principes tactiques du parti marxiste.

En 1905, année de l’échec de la première tentative de révolution démocratique, l’affrontement de classes dans le parti déboucha sur une scission de fait : après les journées révolutionnaires de janvier seuls les bolcheviks participèrent en mai 1905 au 3° Congrès convoqué à Londres, tandis que les mencheviks se réunissaient avec Trotski, dans une conférence séparée à Genève. Une telle situation n’était pas fortuite : elle traduisait deux orientations fondamentalement contraires du Parti ouvrier social-démocrate de Russie : l’orientation révolutionnaire de Lénine et des bolcheviks, l’orientation opportuniste et contre-révolutionnaire des mencheviks. Les premiers s’appuyaient sur les travailleurs et les masses populaires ; les seconds défendaient des positions de la bourgeoisie libérale désireuse de confisquer à son profit tout succès éventuel des forces révolutionnaires. Ils se refusaient ouvertement à « pousser plus loin » la révolution.

 

  1. Dans Matérialisme et empiriocriticisme (octobre 1908), Lénine développa les principes théoriques du parti marxiste.

 

Ainsi, de 1902 à 1908, Lénine, continuateur de l’œuvre entreprise par Marx et Engels, édifia-t-il un authentique parti marxiste, arme révolutionnaire qui allait permettre de conduire le prolétariat et les masses révolutionnaires de Russie à la victoire. Il a développé les principes idéologiques, organisationnels, tactiques et théoriques du parti marxiste. C’est ce que Staline résume dans l’Histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S. :

« Les bolcheviks (…) ont mené une lutte intransigeante contre les opportunistes ; ils ont épuré le parti prolétarien de la souillure de l’opportunisme et sont parvenus à créer un parti d’un type nouveau, un parti léniniste, le parti qui, plus tard, allait conquérir la dictature du prolétariat… » (171).

 

    1. L’ESSOR DU PARTI BOLCHEVIK

 

Lorsqu’ éclate la première guerre impérialiste mondiale, seul le parti bolchevik de Russie resta fidèle aux principes marxistes, à la cause de l’internationalisme prolétarien et du socialisme. Au cours des deux années qui avaient précédé l’événement, il avait connu un développement important, en alliant sans cesse le travail illégal à l’action légale. La situation créée par le déclenchement de la guerre modifia de nouveau temporairement les conditions de l’action légale du Parti ouvrier social-démocrate (bolchevik) de Russie. Aussi durant les premières années du conflit entre les grandes puissances impérialistes, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (nouvelle mouture plus ou moins gauchiste formée par des éléments de la petite bourgeoisie) parvinrent à reconquérir une influence et occupèrent une place dominante dans les soviets. Cependant, la situation du peuple ne cessait d’empirer, et l’activité des bolcheviks portait ses fruits. A tel point que les 26 et 27 février 1917, après une semaine de grèves, de manifestations ouvrières violentes et d’affrontements sanglants avec les troupes de la police ou de l’armée chargée de la répression, triompha la révolution bourgeoise. Les bolcheviks avaient assumé la direction des combats populaires et révolutionnaires, tandis que les mencheviks s’occupaient à gagner des sièges de députés dans les soviets.

Au point de vue de notre propos – l’édification du parti – le 6° Congrès tenu du 26 juillet au 3 août 1917, adopta une décision d’une portée considérable : il vota de nouveaux statuts du parti, instituant un fonctionnement basé sur le principe du « centralisme démocratique ». Cette mesure reposait sur une idéologie et une organisation comportant les dispositions suivantes :

  1. Election de tous les organismes dirigeants du parti ;

  2. Comptes-rendus périodiques des organismes dirigeants du parti devant leurs organisations de base respectives ;

  3. Discipline rigoureuse dans le parti et soumission de la minorité à la majorité ;

  4. Obligation pour les organismes inférieurs et pour tous les adhérents du parti de respecter et appliquer les décisions des organismes supérieurs.

 

En fait ce fut le dernier Congrès avant la victoire de la révolution prolétarienne qui fut acquise le 25 octobre 1917, sous la direction du parti créé et édifié par Lénine, avec le soutien de Staline. Analysant les raisons du triomphe de la révolution socialiste, Staline indiqua :

« …A la tête de la classe ouvrière se trouvait ce parti rompu à la lutte politique qu’est le parti bolchevik. Seul un parti comme le parti bolchevik, suffisamment hardi pour mener le peuple à l’assaut décisif et suffisamment circonspect pour éviter les écueils de tout genre sur le chemin du succès, seul un tel parti pouvait fondre d’une façon aussi judicieuse, en un seul flot révolutionnaire, des mouvements révolutionnaires aussi divers qu’étaient le mouvement démocratique général pour la paix, le mouvement démocratique paysan pour la mainmise sur les terres seigneuriales, le mouvement de libération nationale des peuples opprimés en lutte pour l’égalité nationale et le mouvement socialiste du prolétariat pour le renversement de la bourgeoisie, pour l’instauration de la dictature du prolétariat.

Il est évident que c’est la fusion de ces divers courants révolutionnaires en un flot révolutionnaire unique et puissant qui a décidé du sort du capitalisme en Russie. » (170)

 

    1. STALINE DRESSE LE BILAN DE L’ŒUVRE DE LENINE ET FORMULE LES PRINCIPES DU PARTI DE TYPE NOUVEAU

 

Le 7° Congrès, le 6 mars 1918, décida de modifier le nom du parti et, sur proposition de Lénine, l’appela « Parti communiste (bolchevik) de Russie » (P.C. (b.) R.). Pourquoi ? Simplement parce que le parti avait pour but de réaliser le communisme.

Mais bientôt les pays impérialistes de l’Entente, victorieux de l’impérialisme allemand, déclenchèrent une agression militaire contre le pays des soviets, en collusion avec tous les contre-révolutionnaires russes qui avaient été dépouillés de leurs avantages et de leur pouvoir par la révolution. Pendant trois années, les peuples soviétiques eurent à repousser leurs assauts violents. Mais finalement, l’Armée Rouge parvint à sauver le pays et la révolution. A la question : « Comment fut remportée la victoire ? », Staline répondit entre autres explications :

« L’Armée Rouge a vaincu parce que son noyau dirigeant, à l’arrière et au front, était le Parti Bolchevik, soudé par sa cohésion et sa discipline, puissant par son esprit révolutionnaire et sa volonté de consentir tous les sacrifices pour faire triompher la cause commune, insurpassé par sa capacité à organiser les multitudes et à les diriger de façon judicieuse, dans une situation complexe. » (172)

Aussitôt après la mort de Lénine (le 21 janvier 1924), Staline entreprit une série de conférences pour exposer les principes du léninisme. La huitième séance fut consacrée au sujet « Le Parti ». Staline y dressa le bilan des principes léninistes du parti du prolétariat, du parti marxiste conçu et expérimenté par Lénine. Il souligna d’abord que le nouveau parti révolutionnaire prolétarien ne pouvait s’identifier en rien avec les vieux partis sociaux-démocrates. Il démontra que le parti léniniste répondait à la nécessité d’un nouveau parti, puis énuméra les particularités de ce nouveau parti :

  1. Le parti doit être un détachement d’avant-garde de la classe ouvrière ;

  2. Le parti doit être un détachement organisé de la classe ouvrière ;

  3. Le parti doit être la forme suprême de l’organisation de classe du prolétariat ;

  4. Le parti doit être l’instrument de la dictature du prolétariat ;

  5. Le parti doit se fonder sur une unité de volonté incompatible avec l’existence de fractions ;

  6. Le parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes.

 

« Le parti est l’avant-garde du prolétariat, l’avant-garde qui gouverne directement, c’est le dirigeant. Le moyen spécifique d’action sur l’avant-garde, pour l’épurer et l’aguerrir, c’est l’exclusion du parti et non la contrainte. » (173)

La conception théorique du parti de type nouveau, développée à partir de l’expérience historique concrète du mouvement révolutionnaire, avait ainsi atteint un niveau supérieur. Elle allait devoir affronter de nouvelles expériences pour s’enrichir encore grâce aux enseignements positifs et négatifs de la pratique à travers l’affrontement incessant entre deux lignes, deux voies, deux idéologies.

 

 

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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 12:03

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 26)

 

LE PROLETARIAT, SEULE CLASSE REVOLUTIONNAIRE JUSQU ’ AU BOUT

 

Il existe d’autres classes sociales et couches sociales dans le processus social capitaliste, outre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste : ce sont essentiellement les classes moyennes. Certaines de ces classes sont héritées du moyen age, d’autres prennent naissance sur le sol de la nouvelle formation sociale capitaliste. Cependant, c’est principalement, mais non pas seulement, l’évolution de la contradiction fondamentale entre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste, entre le Travail et le Capital, qui fait que l’unité constituée par la formation sociale capitaliste se développe, se transforme et change. C’est-à-dire il y a action des deux termes irréductibles de la contradiction l’un sur l’autre, du prolétariat sur la bourgeoisie et de la bourgeoisie sur le prolétariat, action qui se manifeste par des luttes plus ou moins aiguës. Cette contradiction n’est devenue ouvertement irréconciliable qu’après la transformation de la bourgeoisie en classe dominante, c’est-à-dire en France, après la Révolution de 1789.

Cette contradiction est la seule qui peut, et doit, aboutir à la destruction complète de la société bourgeoise et à l’édification de la société socialiste. En ce sens le prolétariat est la seule classe qui soit en lutte pour le tout (pour le pouvoir politique), la seule classe qui soit révolutionnaire jusqu’au bout, la seule classe socialiste de façon cohérente,

  • Par sa situation économique : le capitalisme a dénudé chaque élément du prolétariat, et chaque élément du prolétariat doit vendre au capitaliste sa force de travail pour subsister ; le prolétaire ne tient par rien au système, mais au contraire il aspire à abolir tous les privilèges de classe et donc à abolir les classes elles-mêmes. D’un autre côté, le capitalisme a organisé la classe ouvrière en travailleur collectif, producteur de toutes les richesses de la société.

  • Par sa situation idéologique : le socialisme scientifique, fondé par Marx et Engels, appliqué et développé par Lénine et Staline en Union Soviétique, construit sur la base de la spontanéité créatrice des masses – spontanéité que dépasse un bond qualitatif – mais qui ne renonce jamais à la spontanéité créatrice comme fondement de son mouvement, le socialisme scientifique apporte à la classe ouvrière une conscience pleine de ce qui l’opprime, et de la façon de s’en sortir.

  • Par sa situation politique : d’une part le prolétariat mène une lutte pour satisfaire ses besoins économiques immédiats, améliorer sa situation matérielle, d’où exigence d’une organisation. D’autre part, le socialisme scientifique aide au développement et à l’organisation du mouvement ouvrier, et transforme la lutte isolée, « révoltes » ou grèves – tentatives dépourvues de toute idée directrice – en une lutte cohérente qui devient une guerre de classe, guerre de toute la classe ouvrière contre le régime bourgeois, et visant à détruire le régime social fondé sur l’oppression du travailleur.

« Cette situation de l’ouvrier d’usine, dans le système général des rapports capitalistes, fait qu-il est seul à lutter pour l’émancipation de la classe (travailleuse) parce que seul le stade supérieur du capitalisme, la grande industrie mécanique, crée les conditions matérielles et les forces sociales nécessaires pour cette lutte. Partout ailleurs, là où les formes de développement du capitalisme sont inférieures, ces conditions font défaut. » (157)

 

L’ORGANISATION

 

La condition essentielle pour le prolétariat révolutionnaire est la nécessité absolue de l’organisation car, comme l’écrivait Lénine en 1904 : « le prolétariat n’a d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation ». Cette idée d’organisation intervient à trois niveaux : il faut ORGANISER l’instrument révolutionnaire du prolétariat, le Parti de type nouveau ; il faut ORGANISER la révolution elle-même ; il faut ORGANISER la société à laquelle la révolution a donné naissance. Le premier point, l’organisation de l’instrument de prise du pouvoir par le prolétariat, sera traité dans le Chapitre IV (« Le Parti léniniste »). Le second point, l’organisation de la prise du pouvoir par le prolétariat et son Parti, sera traité dans le Chapitre V (« Le pouvoir politique »). Le troisième point, l’organisation du pouvoir prolétarien, sera traité dans le Chapitre VIII (« La dictature du prolétariat »).

Nous avons vu où le prolétariat veut aller : vers la révolution prolétarienne et l’édification socialiste. Maintenant le problème est de savoir avec qui aller. A côté de la contradiction principale entre la bourgeoisie et le prolétariat, il existe d’autres classes et couches sociales qui sont en contradiction.

En ce qui concerne la France contemporaine, ce sont essentiellement la petite et moyenne paysannerie, la petite bourgeoisie et les intellectuels : ce sont les classes et couches moyennes. Il y a contradiction entre ces différentes classes moyennes, entre les classes moyennes et le prolétariat, entre les classes moyennes et la bourgeoisie. C’est-à-dire qu’il y a interaction entre les diverses classes moyennes et action réciproque entre les classes moyennes et la contradiction principale. Ces contradictions se manifestent par des conflits entre les intérêts des classes différents. Mais ce sont là des contradictions secondaires dont la transformation et l’évolution sont en dernières instances déterminées par la contradiction principale. Cependant, il est capital de déterminer, pour le développement de la révolution, parmi toutes ces contradictions secondaires, quelles sont les contradictions antagonistes, celles qui ne le seront jamais et celles qui peuvent le devenir.

Il convient de distinguer deux types de contradictions différentes, et donc deux façons différentes de traiter les contradictions, de les résoudre : les contradictions antagoniques et les contradictions non antagoniques ou contradictions au sein du peuple.

 

LA CONTRADICTION ENTRE LA BOURGEOISIE ET LE PROLETARIAT EST UNE CONTRADICTION ANTAGONIQUE

 

Dans la société capitaliste, la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat est antagonique, c’est-à-dire qu’elle ne se résout que par la lutte violente et par la révolution prolétarienne.

Dans une conjoncture précise, les contradictions entre le prolétariat et ses alliés objectifs (petite et moyenne paysannerie, petite bourgeoisie, bourgeoisie nationale) sont non antagoniques, c’est-à-dire qu’elles peuvent et doivent se résoudre par la persuasion et la lutte idéologique. Si ce type de contradiction n’est pas bien traité, il peut devenir antagonique.

Faute de savoir déterminer à un moment précis et dans la perspective de l’avenir (la révolution socialiste, l’édification socialiste sous la dictature du prolétariat) si une contradiction est ou devient antagoniste, et jusqu’à quel point, il n’est pas possible de définir une tactique révolutionnaire. Il n’est pas possible même de savoir si une situation donnée, la situation actuelle par exemple, est révolutionnaire immédiatement ou à terme.

Chaque contradiction a son originalité. Selon la conjoncture, chaque contradiction se transforme et change, c’est-à-dire se reflète et se disperse en mille autres. Du point de vue du prolétariat révolutionnaire, qui se fixe pour but la destruction de la société bourgeoise, se posent un certain nombre de problèmes : par exemples, qu’est-ce qui divise les masses populaires, et qu’est-ce qui les unit ? Jusqu’où ira la bourgeoisie française dans sa résistance aux empiètements de l’impérialisme américain ? Par exemple, il est évident que le prolétariat n’a pas les mêmes moyens d’action si petits paysans et commerçants sont prêts à se battre où s’ils sont désarmés par les quelques concessions consenties par la bourgeoisie, qui cherche à se les concilier, adoucissant quelque peu le détail de leur disparition.

Contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat, contradiction entre les petits paysans et commerçants, ce sont là deux contradictions de natures différentes que le prolétariat doit résoudre par des méthodes différentes.

 

      1. BOURGEOISIE ET PROLETARIAT

 

Dans le système capitaliste, la bourgeoisie est la classe dominante : c’est-à-dire que le pouvoir politique lui appartient. Le pouvoir politique lui permet dans une large mesure de réaliser ses intérêts de classe au mieux ; quelle que soit la forme du pouvoir d’Etat, c’est un Etat capitaliste. Le pouvoir d’Etat est le reflet des rapports de classe de la société à un moment donné.

Le pouvoir d’Etat et les différents appareils d’Etat (appareil scolaire, armée, justice, administration, …) appareils d’Etat qui sont la matérialisation, la « cristallisation », de ce reflet des forces en présence qu’est le pouvoir d’Etat, sont les instruments de la classe bourgeoise, dont elle se sert pour chercher à résoudre les différentes contradictions entre les classes sociales au profit de sa classe propre.

Si à l’époque de la bourgeoisie ascendante, il a pu sembler qu’elle était porteuse des intérêts de l’ensemble du peuple, l’évolution historique a vite dissipé cette illusion. En fait, il s’est avéré que la bourgeoisie luttait pour ses revendications propres, et il ne pouvait en être autrement, vu les conditions objectives existantes. Les grands révolutionnaires français (Robespierre, Danton, Marat, Saint-Just…) ont lutté, qu’ils en aient conscience ou non, cela ne change rien à l’affaire, pour la réalisation des idéaux d’une fraction du tiers-état : la bourgeoisie médiévale. Leur élaboration d’une société nouvelle et d’un Etat nouveau était une adaptation des besoins de la bourgeoisie au plan idéologique et politique, une adaptation de la superstructure à l’infrastructure. Leur revendication de suppression des privilèges de classe signifiait la suppression des privilèges de la noblesse, des privilèges de sexe, d’âge et d’origine. Leur revendication de « liberté » signifiait en réalité liberté d’entreprise, liberté d’exploiter autrui : c’est-à-dire liberté bourgeoise. Le mot d’ordre d’ « égalité » dissimulait le fait fondamental de l’opposition entre les possesseurs de moyens de production et ceux qui n’avaient que leur force de travail à vendre pour vivre : c’était une « égalité » nominale, de droit et non de fait. Le droit bourgeois sacralisait, fixait et défendait la propriété privée, appelant « homme », « citoyen », celui qui est à l’image du bourgeois, c’est-à-dire le propriétaire des moyens de production.

« Comment s’est exprimée la domination de la bourgeoisie sur les féodaux ? La Constitution parlait de liberté et d’égalité. Mensonges. Tant qu’il y a des travailleurs, les propriétaires sont capables et même tenus de spéculer en leur qualité de propriétaires. Nous disons qu’il n’y a pas d’égalité, que l’homme rassasié n’est pas l’égal de l’affamé, ni le spéculateur l’égal du travailleur. (…). La teneur principale, l’esprit de toutes les constitutions d’autrefois, jusqu’à la plus républicaine, la plus démocratique, se réduisait à la seule propriété. » (158)

 

Mais la masse populaire donnait un sens différent aux revendications de liberté et d’égalité, et dès le début ses représentants (Hébert, Babeuf, Olympe de Gouges …) se sont heurtés à la bourgeoisie. Suppression des privilèges signifiait suppression de tous les privilèges, et donc suppression des classes, égalité sociale et économique et non plus seulement « égalité » de droit. Liberté signifiait maîtrise du mode de vie en société des hommes par tout un chacun, et liberté du travail. Dès le départ ces revendications furent refoulées et niées.

L’ensemble des institutions monarchiques, dont le vieil appareil militaire, la justice, ayant disparu, de gré ou de force, la bourgeoisie révolutionnaire se révélât, tout aussitôt, capable d’en inventer, d’en fabriquer d’autres, les siennes propres : l’Etat bourgeois.

Mais une fois la bourgeoisie triomphante, une fois que le pouvoir fur séparé du peuple, remis à une poignée de professionnels qui assuraient la défense des privilèges de la classe bourgeoise et s’identifiaient eux-mêmes aux exploiteurs par leur personne ou par leur intérêt, la contradiction entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat apparaissait de plus en plus aiguë, de plus en plus consciente, de plus en plus développée.

Face à la lutte des travailleurs, et de leur développement, quelles furent les méthodes de lutte de la bourgeoisie pour maintenir sa dictature ? Elle usait de deux méthodes de lutte : la carotte et le bâton. Tels étaient, sont et resteront les deux formes de lutte essentielles de la bourgeoisie capitaliste contre les masses laborieuses.

La première méthode est celle des violences, des persécutions et de la répression. C’est une méthode qui porte encore la marque du servage, du moyen âge. Il y a partout, dans les pays avancés comme dans les pays arriérés, des couches et des groupes de la bourgeoisie qui préfèrent ces procédés ; ces procédés à certains moments spécialement critiques de la lutte des ouvriers contre l’esclavage salarié, rallient l’ensemble de la classe bourgeoise. Ce fut par exemple le cas des bourgeoisies allemandes et italiennes qui instaurèrent une dictature fasciste de la bourgeoisie :

« Plus la démocratie bourgeoise est développée et plus elle est près, en cas de divergence profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, du massacre ou de la guerre civile. » (159)

C’est là une « loi » de la démocratie bourgeoise, vérifiée encore en Mai 1968 ;

L’autre méthode de lutte utilisée par la bourgeoisie contre le mouvement ouvrier consiste à diviser les ouvriers, à désorganiser leurs rangs, à corrompre certains groupes ou certains représentants du prolétariat, afin de les faire passer dans le camp de la bourgeoisie. Elle consiste à assujettir le mouvement ouvrier à l’idéologie bourgeoise.

Lénine a défini ainsi les deux aspects de la démocratie bourgeoise :

« Le régime démocratique est l’une des formes de la société bourgeoise, sa forme la plus pure et la plus parfaite, où le maximum de liberté, d’ampleur, de clarté de la lutte des classes va de pair avec le maximum de ruse, d’astuce, d’artifices, de pression « idéologique » exercée par la bourgeoisie sur les esclaves salariés en vue de les distraire de la lutte contre l’esclavage salarié. » (160)

 

La solution de la contradiction entre le Travail et le Capital, la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat, est la révolution prolétarienne et l’édification du socialisme sous la dictature du prolétariat : de classe dominée, le prolétariat devient classe dominante, c’est-à-dire le pouvoir d’Etat a une nature de classe prolétarienne et a la forme d’un Etat socialiste qui permet au prolétariat révolutionnaire de réaliser ses tâches historiques (abolition des classes). Inversement, la bourgeoisie de classe dominante devient classe dominée, c’est-à-dire que l’Etat capitaliste est brisé ; mais la classe bourgeoise ne « disparaît » pas pour autant.

La lutte de classe, la lutte idéologique et politique essentiellement, se poursuit entre la bourgeoisie et le prolétariat sous la dictature du prolétariat ; mais elle se poursuit sous une autre forme sous la direction du prolétariat, et ceci jusqu’au stade supérieur du socialisme, le communisme, où les classes sont supprimées.

Le prolétariat est le représentant de tous les travailleurs, en tant que classe la plus exploitée en régime capitaliste, mais aussi la plus consciente de sa situation et la plus capable, de s’en sortir par la voie révolutionnaire. En s’émancipant, le prolétariat émancipe toutes les autres classes de l’exploitation et de l’oppression bourgeoise. Le prolétariat n’a intérêt au maintien d’aucun privilège : aussi il les abolit tous. Par sa domination en régime socialiste, il vise non à « exploiter » la bourgeoisie, mais à la détruire, à supprimer toute possibilité à une classe d’en exploiter une autre. La classe ouvrière apporte son soutien à la révolutionnarisation des autres classes. Mais cette transformation des classes moyennes libérées de la bourgeoisie se fait sous la direction du prolétariat, non dans l’intérêt d’une nouvelle classe, mais dans le sens d’un renforcement de la dictature du prolétariat. Tout renforcement de la dictature du prolétariat est un pas fait vers la disparition des classes et de l’Etat, tout affaiblissement de la dictature du prolétariat est un pas vers le renforcement de la bourgeoisie et vers son rétablissement éventuel.

 

      1. LES ALLIES OBJECTIFS DU PROLETARIAT

 

Quels sont les rapports entre le prolétariat et les autres classes et couches de travailleurs ? Comment le prolétariat pourra-t-il rallier ces couches de la population (en particulier les semi-prolétaires et les petits paysans) ? Pour répondre à ces questions il faut partir de la situation sociale objective de ces classes et couches de la population : le paysan indépendant, ou l’artisan, sont, dans le mode de production capitaliste, à la fois capitaliste et ouvrier, puisqu’ils sont possesseurs de leurs moyens de production et aussi leurs propres salariés :

« La situation économique du petit bourgeois est telle qu’il penche nécessairement et involontairement tantôt vers la bourgeoisie, tantôt vers le prolétariat. Sa situation économique ne lui permet pas d’avoir une ligne indépendante. Son passé le porte vers la bourgeoisie, son avenir vers le prolétariat. » (161)

Prenons le cas de la petite paysannerie en France : c’est une couche sociale qui trouve ses racines dans la société féodale. Avec la domination de la bourgeoisie, elle s’est fondamentalement transformée. C’est une classe qui est alors exploitée de façon capitaliste en tant que producteurs.

Toutefois cette exploitation reste limitée et morcelée. Elle s’enveloppe de formes médiévales, de toutes sortes d’attributs politiques, juridiques et familiaux, de ruses qui empêchent le travailleur de voir que c’est le capital qui l’opprime et son support, la classe capitaliste.

Cette conscience fausse, limitée, exiguë de sa situation n’empêche pas moins qu’il ressent l’exploitation capitaliste comme tout autre travailleur. Elle lui apparaît de façon aiguë et directe quand il est spolié de sa terre et transformé en ouvrier agricole. Cette conscience limitée, fausse est due à son être social : il vit de sa propre force de travail et a une production limitée ; il est parfois propriétaire de ses moyens de production.

Dans les campagnes, les formes de développement du capitalisme sont inférieures : les conditions matérielles et les forces sociales nécessaires pour la lutte font en général défaut. En effet, la production est morcelée en une multitude d’exploitations minuscules. Le travailleur exploité possède encore la plupart du temps une minuscule exploitation qui l’attache à ce système bourgeois contre lequel il doit mener la lutte. Ceci retarde et rend difficile le développement des forces sociales capables de renverses le capitalisme. Morcelée, individuelle, la petite exploitation attache les travailleurs à leur localité, les dissocie et ne leur permet ni de prendre conscience de leur solidarité de classe, ni de s’unir après qu’ils ont compris que la cause de leur oppression n’est pas tel ou tel individu, mais le système économique tout entier.

Aussi c’est à la classe ouvrière de leur montrer quelle voie prendre. Car au contraire, le grand capitalisme, la grande industrie moderne rompt inévitablement les liens rattachant les ouvriers à la vieille société, à telle localité et à tel exploiteur ; il les unit ; les oblige à réfléchir et les place dans des conditions permettant d’engager une lutte organisée.

Les couches pauvres et moyennes de la paysannerie suivent souvent les partis bourgeois et petits bourgeois, non par un libre choix de leur volonté, mais parce qu’elles sont trompées par la bourgeoisie, parce que le capital les opprime. Aussi le prolétariat ne pourra rallier ces couches DANS LEUR ENSEMBLE qu’après avoir vaincu la bourgeoisie, après l’avoir renversée ; quand le prolétariat aura pris le pouvoir d’Etat, et affranchi par là même tous les travailleurs du capitalisme, il pourra montrer dans la pratique les bienfaits du pouvoir prolétarien, les bienfaits de l’affranchissement de l’exploitation capitaliste et de l’esclavage salarié.

La bourgeoisie se servait du pouvoir d’Etat comme de l’instrument de la classe des capitalistes contre le prolétariat et contre tous les travailleurs. Le prolétariat doit renverser la bourgeoisie, briser l’Etat capitaliste, arracher le pouvoir d’Etat, pour user de cet instrument dans ses propres buts de classe.

Quels sont les objectifs de classe du prolétariat ? C’est de résoudre la contradiction entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat par la violence révolutionnaire, par la révolution prolétarienne, et d’écraser la résistance de la bourgeoisie par la dictature du prolétariat ; c’est de « neutraliser » les classes moyennes, entre autres la paysannerie, et attirer la majorité de sa partie laborieuse, non exploiteuse, aux côtés du prolétariat en vue de l’édification du socialisme ; c’est d’organiser le socialisme sur les ruines du capitalisme. Le problème de l’action à exercer par le prolétariat sur les semi-prolétaires et les petits et moyens paysans n’est pas identique à l’action à exercer sur la bourgeoisie capitaliste. Dans le premier cas, le prolétariat n’est pas face à un ennemi, mais face à un hésitant avec lequel il peut parvenir à une entente ; dans le second cas le prolétariat est face à un ennemi agissant, qu’il s’agit d’éliminer.

« La révolution prolétarienne est impossible sans la sympathie et le soutien de l’immense majorité des travailleurs pour leur avant-garde : le prolétariat. Mais cette sympathie, ce soutien ne se gagnent pas d’emblée, ne se décident pas sur des votes ; on les conquiert au prix d’une lutte de classe difficile, dure, de longue haleine. La lutte de classe que mène le prolétariat pour gagner la sympathie, pour gagner le soutien de la majorité des travailleurs ne cesse pas quand le prolétariat a conquis le pouvoir politique. Après la conquête du pouvoir cette lutte se poursuit, mais sous d’autres formes. » (162)

 

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 27)

 

    1. « TOUTE LUTTE DE CLASSE EST UNE LUTTE POLITIQUE. » (MARX)

 

Les opportunistes, asservis aux idées libérales, ont faussement compris cette pensée de Marx et se sont attachés à l’interpréter de travers. Ainsi, par exemple, parmi les opportunistes figurent les « économistes », tendance que Lénine eut à combattre à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle. Cette conception réduit le marxisme à une « théorie économique » à partir de laquelle pourrait être interprété l’ensemble des transformations sociales. L’économisme, définissant les forces productives comme le moteur de l’histoire, fait apparaître la lutte des classes comme le produit direct et immédiat des contradictions économiques. Ces dernières sont supposées devoir « engendrer » d’elles-mêmes les transformations sociales et, le « moment venu », les luttes révolutionnaires. La classe ouvrière semble donc devoir être poussée à la révolution, la constitution d’un parti prolétarien n’est donc pas nécessaire.

Les « économistes » pensaient que n’importe quel conflit entre des classes constitue déjà une lutte politique. Ils reconnaissaient comme « lutte de classe » la lutte pour obtenir une augmentation de salaire, mais ils refusaient de voir la lutte de classe plus élevée, plus développée, à l’échelle de toute la nation, pour des objectifs politiques.

Lorsque les ouvriers d’une fabrique, ou d’une profession, affrontent leurs patrons, ce n’est pas la lutte de classe, ce n’est encore qu’un faible embryon de la lutte de classe.

La lutte des ouvriers devient lutte de classe lorsque tous les représentants d’avant-garde de l’ensemble de la classe ouvrière de tout le pays ont conscience de former une seule classe ouvrière et commencent à agir non pas contre tel ou tel patron, mais contre la classe des capitalistes tout entière et contre le gouvernement qui la soutient. C’est seulement lorsque chaque ouvrier a conscience d’être membre de la classe ouvrière dans son ensemble, lorsqu’il considère qu’en luttant quotidiennement, pour les revendications partielles, contre tels patrons et tels fonctionnaires, il se bat contre toute la bourgeoisie et tout le gouvernement, c’est alors seulement que son action devient une lutte de classe. Il n’est pas vrai que toute action des ouvriers contre les patrons est toujours une lutte politique. Mais la lutte des ouvriers contre les capitalistes devient nécessairement une action politique dans la mesure où elle devient une lutte DE CLASSE.

Le marxisme se propose précisément en organisant les ouvriers, de transformer par la propagande et l’agitation, leur lutte spontanée contre les oppresseurs en une lutte consciente de toute la classe, en la lutte d’un PARTI POLITIQUE pour des idéals politiques et socialistes déterminés. Les « économistes » reconnaissaient la lutte de classe embryonnaire mais ne la reconnaissaient pas sous sa forme développée. Autrement dit, les « économistes » reconnaissaient dans la lutte de classe uniquement ce qui était le plus tolérable au point de vue de la bourgeoisie libérale, en refusant d’aller plus loin que les libéraux, en refusant de reconnaître la lutte de classe plus élevée que les libéraux ne pouvaient admettre. Les « économistes » renonçaient ainsi à la conception marxiste et révolutionnaire de la lutte de classe.

Ces mots : la lutte de la classe ouvrière est une lutte politique, signifient que la classe ouvrière ne peut lutter pour sa libération sans chercher à exercer une influence sur les affaires de l’Etat, sur l’administration de l’Etat, sur la promulgation des lois.

Mais il ne suffit pas de dire que la lutte de classe devient véritable, conséquente et développée uniquement lorsqu’elle s’étend au domaine de la politique. En politique aussi, on peut se limiter aux détails sans importance ou bien aller jusqu’à l’essentiel. Le marxisme reconnaît que la lutte de classe atteint son plein développement uniquement lorsque, ne se contentant pas de s’étendre à la politique, elle se saisit dans la politique même, ce qui est le plus essentiel : l’organisation du pouvoir d’Etat.

Au contraire, lorsque le mouvement ouvrier a pris quelques forces, le libéralisme n’ose plus nier la lutte de classe, mais il s’efforce de la rétrécir, de la tronquer. Le libéralisme est prêt à reconnaître la lutte de classe jusque dans le domaine de la lutte politique, mais à une condition : que l’organisation du pouvoir d’Etat ne fasse pas partie de son champ d’action.

Mais la lutte de classe du prolétariat est une lutte pour le tout. C’est une lutte politique, idéologique, économique contre la civilisation bourgeoise et sa destruction totale et pour imposer ses propres intérêts de classe (suppression des classes) et sa propre conception du monde (communisme).

Le mouvement ouvrier demeurait axé sur des détails, fragmenté, n’acquérait pas d’importance politique, n’était pas éclairé par la science d’avant-garde de son temps, tant qu’il n’avait pas fusionné avec le socialisme scientifique. A la suite de cette fusion, la lutte de classe devient une lutte consciente du prolétariat pour s’affranchir de l’exploitation, et en même temps s’élaborait une forme supérieure du mouvement ouvrier socialiste : le PARTI OUVRIER INDEPENDANT, instrument d’organisation de la lutte du prolétariat.

L’organisation marxiste du mouvement ouvrier devait mener le mouvement grandissant de la classe ouvrière à la lutte pour le socialisme et la libération de l’ensemble des masses populaires du joug du capital. Sa tâche était de détacher les petits bourgeois qui se raccrochaient au mouvement ouvrier, rabaissaient sa force d’élan au niveau du mouvement trade-unioniste et en faisaient un appendice de la bourgeoisie libérale.

Lénine, comme déjà Marx dans le Manifeste du parti communiste, a définit le parti comme l’avant-garde de la classe ouvrière :

« Le parti communiste est une partie de la classe ouvrière : la partie la plus avancée, la plus consciente et, par conséquent la plus révolutionnaire. Le parti communiste est créé sur la base de la sélection naturelle des ouvriers les meilleurs, les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Il se distingue de toute la masse ouvrière en ce qu’il domine du regard tout le chemin historique de la classe ouvrière dans son ensemble, et qu’il s’efforce de défendre à tous les détours de ce chemin, non pas les intérêts de quelques groupes isolés, ou de quelques corporations ; mais les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble. Le parti communiste est, au point de vue de la politique et de l’organisation, le levier à l’aide duquel la partie la plus avancée de la classe ouvrière dirige toute la masse du prolétariat et du demi-prolétariat dans la bonne voie. » (163)

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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 11:48

Liberté, égalité, fraternité (Partie 24)

 

 

  1. LE RÔLE HISTORIQUE DU PROLETARIAT

 

  1. LE DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS OBJECTIVES DE LA REVOLUTION SOCIALISTE

 

Dans le Chapitre XXXII de la Huitième section du Livre premier du Capital, Marx rassemble les conclusions de l’étude historique et économique de l’accumulation primitive du capital.

Avant l’ère capitaliste, au moyen âge, en Angleterre tout au moins, existait la petite entreprise, ayant pour base la propriété privée des moyens de production par l’ouvrier. L’accumulation dite primitive du capital a consisté dans l’expropriation de ces producteurs immédiats, c’est-à-dire dans la dissolution de la propriété privée reposant sur le travail personnel :

« Ainsi donc ce qui gît au fond de l’accumulation primitive du capital, au fond de sa genèse historique, c’est l’expropriation du producteur immédiat, c’est la dissolution de la propriété fondée sur le travail personnel de son possesseur. » (146)

On a arraché les moyens de travail et si cela fut possible, c’est parce que la petite entreprise n’est compatible qu’avec les limites naturelles et étroites de la production du moyen age : ainsi donc, la petite production, en se développant, produit elle-même les moyens matériels de son propre anéantissement.

Il y a accroissement quantitatif d’abord, puis transformation de la quantité en qualité, progrès par bond, c’est-à-dire ici passage de la petite production féodale à la grande production capitaliste. Cet anéantissement, cette transformation des moyens de production individuels et dispersés en moyens concentrés socialement est la source du capital.

L’évolution ultérieure de cette propriété privée des moyens de travail prend une forme vivante dès la naissance du mode de production capitaliste : celle de l’appropriation privée des moyens de production et de la production dans les mains d’une minorité, et le dénuement total d’une majorité qui n’a que sa force de travail à vendre :

« Dès que ce procès de transformation a décomposé suffisamment et de fond en comble la vieille société, que les producteurs sont changés en prolétaires et leurs conditions de travail en capital, qu’enfin le régime capitaliste se soutient par la seule force économique des choses, alors la socialisation ultérieure du travail (…) en un mot, l’élimination ultérieure des propriétés privées – va revêtir une nouvelle forme. Ce qui est maintenant à exproprier, ce n’est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d’une armée ou d’une escouade de salariés. » (147)

Ce qui est brièvement résumé ici, et que Marx démontre par l’histoire par ailleurs, sont les faits suivants : de même qu’autrefois la petite entreprise du mode de production féodal par son évolution a, de façon nécessaire, engendré les conditions de son anéantissement, c’est-à-dire de l’expropriation des petits producteurs, de même aujourd’hui le mode de production capitaliste a engendré également les conditions matérielles et les forces subjectives qui le feront tout aussi nécessairement disparaître. C’est un processus qui comprend des conditions matérielles et des forces sociales subjectives : l’organisation de la grande production sociale et l’organisation du prolétariat en classe et donc aussi en parti politique.

« Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre elle. Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la tueront, elle a produit aussi les hommes qui les manieront : les ouvriers modernes, les prolétaires. » (148)

En France, la bourgeoisie, et sous sa direction l’ensemble du peuple, a détruit par la Révolution de 1789 la vieille superstructure pourrie du mode de production féodal, et par un seul et même mouvement, elle a créé un nouveau type d’Etat, l’Etat capitaliste. Par la création de cet Etat et la destruction de l’ancien, elle s’est donnée les conditions politiques et idéologiques correspondant à ses besoins et à ses intérêts de classe.

Du point de vue de l’infrastructure (la sphère économique), la création de ce milieu « naturel » de la bourgeoisie lui a fait faire un formidable bond en avant : son développement fut si rapide qu’il a très tôt placé la bourgeoisie dans la même situation que la noblesse avant 1789, c’est-à-dire dans la situation d’une classe non seulement socialement superflue, mais encore une classe qui fait obstacle aux intérêts généraux de progrès de la société en général, une classe qui ne fait qu’encaisser des revenus sans rien produire.

Cette transformation s’est faite contre la volonté de la bourgeoisie elle-même et s’est imposée à elle contre son gré, et uniquement d’après les lois de développement interne du mode de production capitaliste et de la formation sociale. Les propres forces de production de la bourgeoisie sont devenues telles qu’elles sont trop puissantes pour obéir à la direction de la bourgeoisie, et doivent passer sous la direction du prolétariat et de la société entière. Ces forces prodigieuses poussent comme sous l’effet d’une nécessité naturelle toute la société bourgeoise au devant de sa ruine et de la barbarie de la société entière… ou d’une révolution prolétarienne.

« Les forces productives dont (la bourgeoisie) dispose ne servent plus à faire avancer le régime de la propriété bourgeoise – elles sont devenues au contraire trop puissantes elle, qui leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces sociales productives triomphent de cet obstacle, elles jettent dans le désordre toute la société bourgeoise et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir les richesses qu’ils ont créées. » (149)

Sous le régime de la bourgeoisie, tout développement nouveau, toute innovation politique ou idéologique, ne peuvent qu’accroître les inégalités et l’oppression. Cela peut durer jusqu’à ce que cette inégalité et cette oppression soient poussées jusqu’à leur comble et se transforment en leurs contraires : l’égalité et la liberté. Devant un despote que constituera la classe bourgeoise capitaliste, tout le monde sera égal, c’est-à-dire égal à zéro : le fruit sera alors suffisamment mûr pour tomber.

 

  1. LE DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS SUBJECTIVES DE LA REVOLUTION SOCIALISTE

 

  1. LE PROLETARIAT

 

Le prolétariat est un des contraires de la contradiction fondamentale du capitalisme, nouveau processus social surgi de l’ancien processus féodal. L’autre contraire de la contradiction fondamentale est la bourgeoisie capitaliste. Le prolétariat est une classe sociale aliénée des moyens de production et obligée pour vivre de vendre sa force de travail au capital :

« Dès sa naissance, la bourgeoisie était grevée de son contraire ; les capitalistes ne peuvent pas exister sans salariés et à mesure que le bourgeois des corporations du moyen âge devenait le bourgeois moderne, dans la même mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenait le prolétaire. » (150)

Pour définir le prolétariat, nous allons répondre aux questions de son origine, de son rôle historique, de son développement et des armes de ce développement. Cependant de nos jours l’existence du prolétariat est mise en cause, et il convient de répondre d’abord à deux questions : le prolétariat existe-t-il encore ? Le prolétariat est-il une catégorie socioprofessionnelle ?

 

 

LE PROLETARIAT EXISTE-T-IL ENCORE ?

 

Pour avoir le droit de s’appeler « prolétaire », il n’est pas nécessaire de vivre dans les mêmes conditions que ce qu’on nommait « prolétaire » au temps de Marx. Dans un certain sens une grande partie du prolétariat industriel de nos villes d’Europe occidentale vit mieux que le prolétariat du XIX° siècle. Mais, outre que ce mieux-être, produit du travail de l’ouvrier, a été arraché par les luttes de classe du prolétariat contre la bourgeoisie capitaliste, la nature du prolétariat n’a pas fondamentalement changée. Sa situation n’a pas été fondamentalement améliorée, bien au contraire : dans une certaine mesure elle est même plus précaire. Le prolétariat continue de vendre sa force de travail pour vivre, et il ne possède qu’elle. Les conditions de sa vie sociale ne dépendent pas de lui, mais dépendent de causes extérieures à lui. A cause de cela, il ne saurait être libre, ni heureux donc : le fait que les chaînes soient « dorées » peut l’endormir pour un moment, mais quand il se réveille, il se retrouve dans les « chaînes de l’esclavage » (Marat) de la condition salariale.

 

LE PROLETARIAT EST IL UNE CATEGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE ?

 

Certains définissent le prolétariat comme étant une catégorie socioprofessionnelle : « c’est la catégorie sociale la moins rémunérée » dit-on, et on fixe arbitrairement un barème en dessous duquel toute personne peut être considérée comme appartenant à la classe ouvrière. Pour rétablir l’ « égalité », il s’agirait alors d’uniformiser les salaires. Mais le marxisme n’a jamais fait sienne cette revendication gauchiste, non scientifique, de l’uniformité des salaires, de ce pseudo égalitarisme. Marx a souligné, dans Salaire, prix et profit :

« Ce que l’ouvrier vend, ce n’est pas directement son travail, mais sa force de travail dont il cède au capitaliste la disposition momentanée (…). Les frais de production de forces de travail de qualités différentes diffèrent exactement de la même façon que les valeurs des forces de travail employées dans les diverses industries. La revendication de l’égalité des salaires repose par conséquent sur une erreur, sur un désir insensé qui ne sera jamais satisfait (…). Comme les différentes forces de travail ont des valeurs différentes, c’est-à-dire nécessitent pour leur production des quantités de travail différentes, elles doivent nécessairement avoir des prix différents sur le marché du travail. » (151)

Le prolétariat se définit en tant que classe, non par son salaire, mais par sa place par opposition aux autres classes dans les rapports sociaux. Le salaire bas par rapport à d’autres salaires est une conséquence de ces rapports sociaux. La revendication du prolétariat révolutionnaire n’est pas la suppression des inégalités de salaire, mais la suppression des inégalités de classe, c’est-à-dire la suppression des classes elles-mêmes, la suppression de l’esclavage salarié.

 

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 25)

 

TOUS LES PROLETAIRES SONT DES SALARIES, TOUS LES SALARIES NE SONT PAS DES PROLETAIRES.

 

Les révisionnistes du Parti « Communiste » Français assimilent théoriquement tous les salariés aux exploités, tous les travailleurs aux prolétaires, et confondent volontairement les notions de « capitalistes » et de « bourgeois ». Certes, les inégalités sociales fondamentalement, et ainsi que l’enseigne le matérialisme dialectique, s’aggravent en régime capitaliste entre les profits et les salaires. Mais les inégalités sociales s’aggravent aussi entre hauts salaires et bas salaires. Il faut distinguer entre un haut salaire qui est une juste rémunération d’une qualification supérieure, et un haut salaire qui est le prix d’une complicité et d’une servilité indispensables à la survie du capitalisme. Cette dernière catégorie de salarié n’a aucun intérêt commun avec les intérêts des prolétaires et des autres classes et couches exploitées du pays.

 

LA STRUCTURE DU PROLETARIAT

 

Quels sont les éléments qui constituent le prolétariat ?

 

  • L’aristocratie ouvrière :

 

Nous trouvons au-dessus de la clase ouvrière, les étroites couches supérieures formant les éléments de l’aristocratie ouvrière. Pour la plupart, ils sont complètement et irrémédiablement corrompus par le réformisme, et prisonniers des préjugés bourgeois et impérialistes, tels que le « légalisme », le « parlementarisme », l’ « électoralisme », le « chauvinisme ». Sans lutter contre cette couche, sans ruiner tout son crédit parmi les ouvriers, sans persuader les masses prolétariennes que cette couche est totalement pervertie par la bourgeoisie, il ne saurait être question d’un mouvement communiste sérieux. C’est ainsi que Lénine a du combattre les théoriciens, les militants, les publicistes, les parlementaires sociaux-démocrates de style bourgeois, les « chefs » syndicaux et politiques de la Deuxième Internationale, issus de cette couche de la classe ouvrière, et qui préconisaient une voie « pacifique ». Pour faire triompher la voie révolutionnaire et marxiste, Lénine a du entreprendre contre eux une lutte à mort. C’est ainsi qu’aujourd’hui il faut combattre les révisionnistes modernes, qui ont répudié tout marxisme, aussi bien du point de vue politique, que du point de vue idéologique et organisationnel (« paix sociale », collaboration de classe, coexistence pacifique, défense de « ses » bourgeoisies, passage « pacifique » au socialisme,…). Ces éléments sont une poussée de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, où ils répandent les préjugés bourgeois, freinent les luttes et font régresser le mouvement ouvrier dans son ensemble sur des positions réformistes : c’est en ce sens qu’ils constituent du point de vue politique, idéologique et organisationnel le dernier rempart de l’impérialisme. Cependant, ces éléments « embourgeoisés » constituent, de par leur situation objective (ils vendent leur force de travail) dans leur majorité, une couche de la clase ouvrière.

Quelle est la base sociale de cette couche de la classe ouvrière ?

Les bourgeoisies impérialistes, par le pillage des colonies à la fin du XIX° siècle et au XX° siècle, par le pillage des néocolonies à l’époque contemporaine, ont la possibilité de donner des subsides (sous forme de hauts salaires par exemple) à certaines couches des ouvriers de la métropole. Ces subsides ont pour but de corrompre essentiellement l’encadrement du mouvement ouvrier en général, et du mouvement socialiste en particulier. C’est ce qui est arrivé en ce qui concerne les « chefs » de la Deuxième Internationale (Bernstein, Kautsky, …). C’est ce qui arrive aux révisionnistes modernes. On pourrait dire de tout ce beau monde : « Dis-moi qui te paye et je te dirai qui tu es. »

C’est pourquoi on peut appeler ces éléments des « sociaux traîtres », des éléments « socialistes » en paroles, mais traîtres aux intérêts de leur classe dans les faits.

« Le capitalisme crée intentionnellement des catégories parmi les ouvriers, pour rallier à la bourgeoisie des couches supérieures infinies de la classe ouvrière ; les conflits avec celles-ci seront inévitables… aussi fort que puisse être le groupe des ouvriers privilégiés, le jugement d’un organe représentant tous les ouvriers sera pour eux sans appel. » (152)

 

  • Le lumpenprolétariat :

 

Nous trouvons en dessous des larges masses du prolétariat, le lumpenprolétariat, que l’on appelle encore dans nos pays civilisés, le « quart-monde ». En général, ce sont des éléments déclassés, qui vivent dans des conditions de misère (bidonville). Mais tout mouvement socialiste se doit de militer dans ce milieu, se lier à lui pour amener le maximum d’éléments sur des positions communistes. Cependant c’est dans ce milieu que la bourgeoisie recrute les éléments terroristes, fascistes et provocateurs :

« La racaille en haillons, cette pourriture inerte des couches les plus bases de l’ancienne société, peut se trouver parfois, d’un sursaut brusque, entraînée dans une révolution prolétarienne. Cependant ses conditions la feraient incliner à se laisser acheter pour favoriser des manœuvres réactionnaires. » (153)

 

  • L’avant-garde :

 

Ce sont les éléments avancés du prolétariat. C’est le « prolétariat révolutionnaire socialiste », celui qui a une conception du mode conséquente. C’est le prolétariat le plus « éduqué » par la société capitaliste et la grande industrie moderne, et il est porteur de la théorie révolutionnaire marxiste. C’est parmi cette couche du prolétariat que se recrutent essentiellement les véritables dirigeants prolétariens ; non pas que quelqu’un les ait désignés à ce rôle, mais ils sont désignés par leur courage et leur dévouement à la classe ouvrière tout entière. Cette avant-garde constitue en partie le Parti communiste marxiste-léniniste.

 

  • Les éléments arriérés :

 

Ce sont les éléments les plus hésitants du prolétariat, qui oscillent sans cesse entre le prolétariat et la bourgeoisie.

 

  • Le centre :

 

Le centre est formé par l’immense masse du prolétariat, aussi bien les travailleurs des usines que les ouvriers agricoles.

 

Ce qui est primordial pour un parti communiste, c’est d’être indissociablement lié à la masse ouvrière, de savoir y faire une propagande constante, de participer à chaque grève, de faire écho à chaque revendication de masses. Il s’agit de faire progresser sans cesse le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier en général vers le but qu’est la révolution prolétarienne, en tirant à soi la masse prolétarienne sans jamais rompre avec les éléments arriérés. Cette progression doit se faire simultanément du point de vue politique, idéologique et organisationnel.

 

LE RÔLE DU PROLETARIAT

 

Le rôle du prolétariat est de renverser la société bourgeoise et d’édifier le socialisme. La classe ouvrière a sans doute une conscience idéologique ; mais en même temps, elle présente les caractères objectifs qui la disposent déjà à être le sujet du socialisme scientifique. Le prolétariat s’instruit et s’éduque en menant sa lutte de classe ; peu à peu il s’affranchit des préjugés de la société bourgeoise et il acquiert une cohésion de plus en plus grande. Ainsi la fabrique apporte au prolétariat une discipline du travail et l’organise :

« Le capital qui bat la petite production conduit à augmenter la productivité du travail et à créer une situation de monopole pour les associations de gros capitalistes. La production elle-même devient de plus en plus sociale : des centaines de milliers et des millions d’ouvriers sont réunis dans un organisme économique coordonné, tandis qu’une poignée de capitalistes s’approprient le produit du travail commun. » (154)

La force du prolétariat est infiniment plus grande que ce qu’il représente comme pourcentage par rapport à la population totale : ceci est dû au fait de la structure économique même de la société capitaliste et à la place qu’occupe la classe ouvrière dans cette société :

« Tout en augmentant la dépendance des ouvriers envers le capital, le régime capitaliste crée la grande puissance du travail unifié. » (155)

Il apparaît que la classe ouvrière est le sujet de l’histoire, qu’elle a un rôle dirigeant : c’est-à-dire le prolétariat est la seule classe porteuse des intérêts généraux de la société entière capable de réaliser ces intérêts. La classe ouvrière ne pourra jouer réellement son rôle dirigeant que si elle s’affirme et se comporte comme l’avant-garde de tous les travailleurs et de tous les exploités, comme leur guide dans la lutte pour renverser les exploiteurs et édifier le socialisme. Pour permettre au prolétariat d’exercer comme il se doit, avec succès, son rôle d’organisateur (qui est son rôle principal), il faut d’abord forger son arme : le parti politique prolétarien.

Ce parti communiste doit faire régner dans son sein une centralisation et une discipline rigoureuse :

« La victoire sur le capitalisme exige de justes rapports entre le parti communiste dirigeant, la classe révolutionnaire, c’est-à-dire le prolétariat, et la masse, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs et des exploités. Seul le parti communiste, s’il est effectivement l’avant-garde de la classe révolutionnaire, s’il compte dans ses rangs les meilleurs représentants de cette classe, s’il est composé de communistes pleinement conscients et dévoués, instruits et trempés par l’expérience d’une lutte révolutionnaire opiniâtre, si ce parti a su se lier indissolublement à toute la vie de sa classe et, par elle, à toute la masse des exploités et inspirer à cette classe et à cette masse une confiance absolue, -- seul un tel parti est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale la plus résolue et la plus implacable contre toutes les forces du capitalisme. » (156)

 

 

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 07:53

Liberté, égalité, fraternité (Partie 22)

 

CHAPITRE III

 

 

 

LE PROLETARIAT

 

 

 

« Marx et Engels enseignaient que le prolétariat industriel est la classe la plus révolutionnaire et, par conséquent la classe la plus avancée de la société capitaliste ; que seule une classe comme le prolétariat peut rallier autour d’elle toutes les forces qui sont mécontentes du capitalisme, et les mener à l’assaut du capitalisme. Mais pour vaincre le vieux monde et créer une société nouvelle, sans classes, le prolétariat doit avoir son propre parti ouvrier, que Marx et Engels appelaient parti communiste. » Staline

 

 

 

 

 

 

Dans la formation sociale où domine le mode de production capitaliste le sort du prolétariat apparaît indissociablement lié au sort de la bourgeoisie. Les deux classes se définissent par opposition l’une à l’autre.

L’acte de naissance du prolétariat et de la bourgeoisie, en tant que classes antagonistes, est le même : c’est la révolution bourgeoise et la destruction du mode de production féodal. Dès lors les rapports de la bourgeoisie au prolétariat sont des rapports de classe dominante à classe dominée, d’exploiteurs à exploités, d’oppresseurs à opprimés.

Le prolétariat s’éduque en menant sa lutte de classe contre la bourgeoisie, par le socialisme scientifique et par le développement de la grande industrie moderne.

 

  1. LE RÔLE HISTORIQUE DE LA BOURGEOISIE

 

Dans la phase ascendante de la classe bourgeoise, son rôle historique fut éminemment révolutionnaire, c’est-à-dire que la révolution bourgeoise a marqué un progrès de la lutte de classe. Les tâches accomplies alors par la bourgeoisie furent :

« … la destruction effectivement révolutionnaire de la féodalité qui avait fait son temps, l’adoption par le pays tout entier avec une promptitude, une résolution, une énergie et une abnégation vraiment démocratiques et révolutionnaires d’un mode supérieur de production, la libre possession du sol par les paysans. » (130)

Quelles furent les conditions objectives et les forces subjectives qui permirent la complète réalisation de ces tâches à la bourgeoisie ?

 

  1. LES CONDITIONS OBJECTIVES DE LA REVOLUTION BOURGEOISE

 

  1. LE MOYEN ÂGE

 

Avant la production capitaliste, c’est-à-dire au moyen âge, où le mode de production féodal était déterminant, on est en présence partout de la petite production. Cette petite production est fondée par la propriété privée des travailleurs sur leurs moyens de travail différents artisanats dans les villes. Les moyens de travail (la terre, les instruments aratoires pour les petits paysans ; l’atelier, les outils pour les artisans) étaient les moyens de travail de l’individu : ils étaient calculés pour un usage individuel. Donc ils étaient nécessairement limités, se réduisant à peu de choses : et pour cette raison même, ils appartenaient au producteur lui-même.

Donc la féodalité se caractérise en général par des moyens de travail limités, individuels et propriété privée des travailleurs.

 

  1. LA REVOLUTION CAPITALISTE

 

Le rôle historique du mode de production capitaliste, et de la classe qui en est le support, la bourgeoisie, a été de concentrer et d’élargir les moyens de production jusque là dispersés et étriqués. Ces moyens de production se sont développés sous le règne de la bourgeoisie jusqu’à devenir les moyens de la production que nous connaissons actuellement :

« Une multitude d’ouvriers fonctionnant en même temps sous le commandement du même capital, dans le même espace (ou si l’on veut, sur le même champ de travail), en vue de produire le même genre de marchandises, voilà le point de départ historique de la production capitaliste. » (131)

Dans la quatrième section du livre premier du Capital, Marx décrit dans les moindres détails la façon dont la bourgeoisie s’est acquittée de cette tâche, depuis le XV° siècle, en passant par trois formes :

  • La coopération simple ;

  • La manufacture ;

  • La grande industrie.

 

Mais comme Marx le prouve dans ce même endroit, la bourgeoisie ne pouvait pas transformer les moyens de travail limités de l’individu du moyen âge en puissantes forces productives sans transformer aussi ces moyens de production limités de l’individu du moyen âge en moyens de production sociaux, utilisables seulement par un ensemble d’hommes :

« …L’emploi d’un personnel nombreux amène une révolution dans les conditions matérielles du travail. (…) Les moyens de production servent à plusieurs ouvriers simultanément : leur usage devient commun. » (132)

Ainsi, la concentration et l’élargissement des moyens de production font que ceux-ci sont exploités collectivement. Par exemple là où on trouvait : le rouet, le métier à tisser, le marteau du forgeron, sont apparus : la machine à filer, le métier mécanique, le marteau à vapeur. Ces nouveaux instruments, qui remplacent l’outil de l’artisan individuel, ne peuvent être exploités que collectivement. Ainsi, au lieu de l’atelier individuel, est née la fabrique qui commande la coopération de centaines de milliers d’hommes.

Les deux aspects de la fabrique sont définis ainsi par Lénine :

« La fabrique, qui à d’aucuns semble seulement un épouvantail, est la forme supérieure de la coopération capitaliste, qui a groupé, discipliné le prolétariat, qui a enseigné l’organisation, qui l’a mis à la tête de toutes les catégories de la population laborieuse et exploitée. C’est le marxisme, idéologie du prolétariat éduqué par le capitalisme, qui a enseigné et enseigne, (…) la différence entre le côté exploiteur de la fabrique (discipline reposant sur la crainte de mourir de faim), et son côté organisateur (discipline reposant sur le travail en commun résultant d’une technique hautement développée). » (133)

De même que les moyens de production, la production elle-même se transforme d’une série d’actes individuels en produits sociaux. C’est-à-dire le fil, le tissu, la quincaillerie qui sortent de la fabrique sont le produit collectif de nombreux ouvriers réunis : ces produits avant d’être finis passaient par les mains de chaque ouvrier. Le produit est un produit social et aucun des ouvriers particuliers ne peut le revendiquer comme étant le sien.

Alors qu’au moyen âge, les produits de l’artisan ou du paysan étaient leurs produits propres, individuels, dans le mode de production capitaliste, les produits sont ceux d’un travailleur collectif, la production est sociale. Dans le premier cas, l’artisan et le paysan produisent des marchandises, dans le second cas, ce n’est pas l’ouvrier individuel qui produit des marchandises, mais le travailleur collectif.

« Mais qu’est-ce qui constitue le rapport entre les travaux indépendants (de l’artisan ou du paysan) ? C’est que leurs produits respectifs sont des marchandises. Et qu’est-ce qui caractérise au contraire la division manufacturière du travail ? C’est que les travailleurs parcellaires ne produisent pas de marchandises. Ce n’est que leur produit collectif qui devient marchandise. » (134)

La production individuelle (artisanale ou agricole) succombera dans un domaine après l’autre, et la production sociale révolutionnera tout le vieux mode de production féodal : d’un côté, production sociale des produits, de l’autre côté, production individuelle des produits, d’un côté, travail social, de l’autre côté, travail isolé. L’aspect positif de la révolution bourgeoise est d’avoir substitué la production sociale à la production individuelle, le travail social au travail isolé.

 

  1. LES LIMITES DE LA REVOLUTION BOURGEOISE

 

Quel est l’aspect négatif de la révolution bourgeoise ?

« Le mode de production capitaliste se présente comme une nécessité historique pour transformer le travail isolé en travail social ; mais, entre les mains du capital, cette socialisation du travail n’en augmente les forces productives que pour l’exploiter avec plus de profit. » (135)

A quoi cela est-il dû ?

Au moyen âge, la propriété des produits reposait sur le travail personnel. C’est-à-dire le paysan, ou l’artisan, fabriquait son produit à l’aide de matières premières qui lui appartenaient, à l’aide de ses propres moyens de travail et de son propre travail manuel (ou de celui de sa famille).

Avec l’apparition du mode de production capitaliste, caractérisé par la production sociale des produits, à l’aide de moyens de production sociaux (machine à filer, métier mécanique, marteau à vapeur), moyens de production utilisés par un ensemble d’hommes réuni dans les fabriques (travail social), on traite moyens de production et produits comme s’ils étaient restés moyens de production et produits d’individus (la classe capitaliste).

Il convient de saisir la différence entre les deux formes d’appropriation du produit.

L’artisan du moyen âge, possesseur de ses moyens de travail, s’approprie le produit parce que, en général, c’est son produit : il est dû à son travail individuel.

Dans le mode de production capitaliste, le possesseur des moyens de travail continue à s’approprier le produit, alors que ce n’est pas le sien propre, mais qu’il est dû au travail d’autrui : le produit, créé socialement n’est pas approprié par le travailleur qui a mis en œuvre les moyens de production sociaux et a réellement fabriqué le produit mais il est approprié par le capitaliste.

 

Il y a contradiction entre le caractère social des moyens de production et la production, et une appropriation privée qui présuppose la production privée d’individus, et la propriété privée des produits. Alors que les conditions de l’appropriation privée ont disparu, on continue d’assujettir le mode de production à celle-ci.

Cette contradiction donne au nouveau mode de production son caractère capitaliste (production sociale -- appropriation capitaliste). Dans cette contradiction est en germe toute la grande collision actuelle entre exploiteurs et exploités, bourgeois et prolétaires. Au fur et à mesure où le nouveau mode de production arrivait à dominer dans tous les secteurs et réduisait la production individuelle à quelques restes, cette incompatibilité entre la production sociale par les travailleurs et l’appropriation privée par les capitalistes apparaissait de plus en plus aiguë. C’est cette contradiction qui constitue la base des transformations du mode de production lui-même :

« La seule voie réelle, par laquelle un mode de production et l’organisation sociale qui lui correspond changent, marchent à leur dissolution et à leur métamorphose, est le développement de leurs antagonismes immanents. » (136)

 

Nous avons vu l’aspect positif de la révolution bourgeoise : la transformation du travail isolé en travail social. Nous avons ici l’aspect négatif : l’appropriation privée par le capitaliste de la production sociale. Lénine a admirablement résumé ces deux aspects du capitalisme :

« Le capitalisme est progressif, car il détruit les anciens modes de production et développe les forces productives ; mais en même temps, à un certain degré de développement, il entrave la croissance des forces productives ? Il développe, il organise, il discipline les ouvriers, et il pèse, il opprime, il conduit à la dégénérescence, à la misère, etc. Le capitalisme crée lui-même son fossoyeur, il crée lui-même les éléments d’un régime nouveau et, en même temps, sans « bonds », ces éléments isolés ne changent rien à l’état de chose général, ne touchent pas la domination du capital. Ces contradictions de la vie réelle, de l’histoire vivante du capitalisme et du mouvement ouvrier, le marxisme, comme théorie du matérialisme dialectique, s’entend à les interpréter. » (137)

D’un côté, l’avènement de la bourgeoisie s’est fait par une lutte victorieuse contre la féodalité et le pouvoir féodal avec ses privilèges, et le régime corporatif qui empêchait le libre développement de la production et la libre exploitation de l’homme par l’homme.

De l’autre côté, le progrès qu’accomplit cette lutte victorieuse ne fait que transformer la forme de l’asservissement, ne fait que métamorphoser l’exploitation féodale en exploitation capitaliste.

A noter que, très rapidement après la naissance du système capitaliste, l’aspect négatif l’a emporté sur l’aspect positif.

« L’ensemble du développement embrassant à la fois la genèse du salarié et celle du capitaliste, a pour point de départ la servitude des travailleurs. » (138)

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 23)

 

 

  1. LES CONDITIONS SUBJECTIVES DE LA REVOLUTION BOURGEOISE

 

« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir elle détruisit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. » (139)

 

  1. BOURGEOISIE ET FEODALITE

 

Quelle est la genèse du capitaliste et du prolétaire ? Quoique cette genèse soit commune au capitaliste et à l’ouvrier, et fondée sur la servitude de l’ouvrier, nous allons, pour les besoins de l’analyse, l’expliquer en deux temps : et d’abord quels sont l’origine, le développement et les armes de ce développement propres à la bourgeoisie ?

 

QUELLE EST L’ORIGINE DE LA BOURGEOISIE ?

 

La bourgeoisie en tant que classe sociale est née et s’est développée dans la lutte contre le féodalisme : sa base économique est comme nous l’avons vu, la socialisation de la production et l’appropriation privée des moyens de production utilisés collectivement et des produits par les capitalistes.

La bourgeoisie appartenait d’abord à un ordre opprimé par la noblesse féodale. La bourgeoisie était tributaire de la noblesse. La noblesse régnante possédait tout le pouvoir politique.

La base économique et sociale de cet ordre qui allait devenir la bourgeoisie était recrutée parmi les corvéables et les serfs de toutes catégories qui s’installaient dans les villes et formaient essentiellement la couche sociale des artisans.

 

QUEL EST LE DEVELOPPEMENT DE LA BOURGEOISIE ?

 

La tâche de la bourgeoisie était de se libérer (et de libérer l’ensemble du peuple par la même occasion) des entraves féodales et d’éliminer les inégalités féodales qui étouffaient et freinaient son développement propre. Pour ce faire, elle devait arracher le pouvoir politique à la noblesse. Lutte sans répit contre la noblesse, la bourgeoisie a conquis un poste de pouvoir après l’autre. Finalement, elle a pris le pouvoir politique sans partage dans les pays les plus avancés.

Par exemple, en Angleterre, cela s’est produit en embourgeoisant la noblesse. La bourgeoisie s’est incorporée la noblesse comme étant un de ses appendices propres.

En France, cela s’est produit en renversant directement la noblesse ; la bourgeoisie s’est émancipée économiquement et politiquement par la Révolution française de 1789 :

« Prenez la grande Révolution française. Ce n’est pas sans raison qu’on la qualifie de « grande ». Pour la classe qu’elle a servie, la bourgeoisie, elle a fait tant que tout le XIX° siècle, ce siècle qui a donné la civilisation et la culture à toute l’humanité, s’est écoulé sous le signe de la Révolution française. Dans tous les coins du monde, ce siècle n’a fait que mettre son œuvre, réaliser par parties, parachever ce qu’avaient créé les grands révolutionnaires de la bourgeoisie française dont ils servaient les intérêts sans en avoir conscience, sous le couvert de phrases sur la liberté, l’égalité et la fraternité. » (140)

 

QUELLES FURENT LES ARMES DE LA BOURGEOISIE ?

 

Si la bourgeoisie est parvenue à conquérir le pouvoir économique c’est grâce à la transformation de l’état économique de la société entière. Ses armes décisives furent ses moyens de puissance économiques ; ceux-ci se développaient et s’accroissaient sans cesse par le développement de l’industrie artisanale d’abord, ensuite par le développement de la manufacture et l’extension du commerce. Pendant toute cette lutte, la puissance politique était surtout du côté de la noblesse.

Par exemple, en France, il n’y avait pas eu de changement dans les conditions politiques : mais l’état économique s’était largement transformé et cette transformation se poursuivait sans arrêt. Bientôt la situation économique créée était trop avancée par rapport aux conditions politiques existantes. C’est ce qu’exprime le slogan politique de l’abbé Sieyès : »Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Rien. Que demande-t-il ? A devenir quelque chose. » Au point de vue politique, la noblesse était tout et la bourgeoisie n’était rien. Au point de vue social, la bourgeoisie était devenue la classe la plus importante de l’Etat, alors que la noblesse avait au fur et à mesure vu lui échapper ses fonctions sociales l’une après l’autre. De plus la production était restée prisonnière des anciennes formes politiques féodales du moyen âge. Celles-ci apparaissaient maintenant comme rétrogrades. La production, par le développement prodigieux des forces productives qu’elle avait connu par la manufacture, était devenue trop grande pour ces vieilles formes politiques, adaptées à la petite production du moyen âge. La grande production était restée prisonnière des privilèges corporatifs et des barrières locales et provinciales. C’étaient là autant de brimades et d’entraves auxquelles la révolution bourgeoise mit fin. La transformation de l’état économique sous la direction de la bourgeoisie devait être suivie à un moment ou à un autre, de façon plus « pacifique » comme en Angleterre, ou par la lutte révolutionnaire comme en France, par une transformation des situations politiques. Ainsi la Révolution française de 1789 est la résolution de la contradiction entre le développement des forces productives et les rapports de production féodaux maintenus par la noblesse. La bourgeoisie les a remplacé par les siens propres, c’est-à-dire correspondant à ses intérêts de classe, la « liberté » bourgeoise et la « démocratie » bourgeoise :

« Quiconque considère l’histoire de façon consciente dira que la Révolution française, bien qu’écrasée, a quand même triomphé, parce qu’elle a donné au monde entier les assises de la démocratie bourgeoise, de la liberté bourgeoise qui ne pouvaient plus être éliminées. » (141)

La bourgeoisie avait pour alliée l’ensemble des classes opprimées par le féodalisme (le « tiers-état ») et la partie la plus consciente de l’aristocratie. Les philosophes des lumières, tels Voltaire, Rousseau, Diderot, D’Holbach, Helvétius…, avaient préparé par une lutte idéologique cette transformation, cette révolution capitaliste, cet avènement de la classe bourgeoise, en luttant contre l’idéologie passée (christianisme officiel, superstitions, obscurantisme). Ils préparaient le règne de la bourgeoisie en l’idéalisant sous la forme d’une lutte inconciliable entre la Raison, les « lumières » et les obscurantismes religieux, politiques et autres. Mais :

« Nous savons aujourd’hui que ce règne de la raison n’était rien d’autre que le règne idéalisé de la bourgeoisie, que la justice éternelle trouva sa réalisation dans la justice bourgeoise ; que l’égalité aboutit à l’égalité bourgeoise devant la loi ; que l’on proclama comme l’un des droits essentiels de l’homme … la propriété bourgeoise ; et que l’Etat rationnel, le contrat social de Rousseau ne vint au monde, et ne pouvait venir au monde, que sous la forme d’une République démocratique bourgeoise. » (142)

 

  1. BOURGEOISIE ET PROLETARIAT

 

Voilà donc le rôle de la bourgeoisie : elle a en tant que classe, dans un seul et même mouvement, d’une part libéré l’ensemble de la société des entraves féodales et éliminé les inégalités féodales, et d’autre part instauré la servitude salariale des autres classes en général, de la société en instituant « l’égalité des droits » (l’égalité bourgeoise). Ainsi, le nouveau mode de production capitaliste portait en lui-même dès sa naissance la contradiction entre un travailleur « libre » mais coupé (« aliéné ») des moyens de production, et le capitaliste qui a la propriété privée des moyens de production, contradiction entre le développement des forces productives de plus en plus sociales et les rapports de production, contradiction entre une minorité de capitalistes propriétaires des moyens de production et des produits et une majorité dépourvue de tout.

« Cependant, on le sait, à compter de l’instant où la bourgeoisie sort de sa chrysalide de bourgeoisie féodale, où l’ordre médiéval se mue en classe moderne, elle est sans cesse et inévitablement accompagnée de son ombre le prolétariat. Et de même, les revendications bourgeoises d’égalité sont accompagnées de revendications prolétariennes d’égalité. De l’instant où est posé la revendication bourgeoise d’abolition des privilèges de classe, apparaît à côté d’elle la revendication prolétarienne d’abolition des classes elles-mêmes. (…) Les prolétaires prennent la bourgeoisie au mot : l’égalité ne doit pas seulement être établie en apparence, seulement dans le domaine de l’Etat, elle doit l’être aussi réellement dans le domaine économique et social (…) Le contenu réel de la revendication prolétarienne d’égalité est la revendication de l’abolition des classes. » (143)

 

Nous allons donc analyser maintenant de quelle façon le développement de la contradiction au sein du mode de production et de la formation sociale capitaliste (exploiteurs – exploités ; bourgeoisie – prolétariat) vise à faire de la bourgeoisie elle-même un obstacle social, comment le prolétariat accomplit son rôle qui est d’éliminer cet obstacle social, et comment ce rôle lui est attribué par sa situation sociale objective dans le mode de production.

  1. « (…) la grande industrie moderne a créé un prolétariat, une classe qui, pour la première fois dans l’histoire, peut revendiquer l’abolition non pas de tel ou tel privilège de classe particulier ou de telle ou telle organisation de classe particulière, mais des classes en général et qui est placé devant l’obligation de réaliser cette revendication sous peine de tomber dans la condition du coolie chinois. »

  2. « (…) la même grande industrie a créé dans la bourgeoisie une classe qui a le monopole de tous les instruments de production et moyens de subsistance, mais qui, dans toute période de fièvre de la production, prouve qu’elle est devenue incapable de continuer à régner sur les forces productives qui échappent à sa puissance ; classe sous la conduite de laquelle la société court à sa ruine… » (144)

 

Il s’agit d’analyser le processus qui a fait notre époque moderne, processus qui vise à transformer l’aspect principal de la contradiction, la bourgeoisie, en aspect secondaire et inversement, à transformer l’aspect secondaire, le prolétariat, en aspect principal : c’est-à-dire la nécessité inéluctable de la révolution prolétarienne et de la prise du pouvoir par le prolétariat. Dans cette perspective, le prolétariat, adossé aux autres couches et classes populaires, et à leur tête, est la seule force humaine qui soit capable de contrôler le déroulement de l’histoire, de le prendre en charge et d’empêcher l’écroulement dans la barbarie d’une civilisation qui se détruit elle-même. En ce sens, il existe un intérêt général de l’humanité. Mais il s’identifie aux intérêts de la classe montante : aujourd’hui, le prolétariat. Il existe aussi un intérêt général du capitalisme. Il s’identifie aux intérêts de la classe bourgeoise : aujourd’hui il mène à dépolitiser les masses populaires, à les écarter de toute action violente, de tout affrontement avec l’Etat :

« La société ne peut plus vivre sous la domination (de la bourgeoisie) : c’est dire que l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec l’existence de la société. » (145)

 

La question : « comment se produit ce processus ? » devient alors la question : « qu’est-ce que le prolétariat ? ». Pour le définir il est indispensable d’en connaître et d’en étudier la genèse, c’est-à-dire sa formation progressive. Il s’agit ici d’esquisser la formation théorique et pratique du prolétariat. Cette formation tout comme la formation de la bourgeoisie, n’échappe pas à la loi du matérialisme dialectique : bourgeoisie et prolétariat forment l’unité de deux contraires. La question peut se subdiviser pareillement que la question concernant la bourgeoisie : quelle est l’origine, quels sont le développement et le rôle historique du prolétariat ?

 

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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 09:09

Liberté, égalité, fraternité (Partie 20)

 

 

CHAPITRE II

 

 

 

NATURE DE CLASSE DE L’ETAT

 

 

 

«  « Briser la machine bureaucratique et militaire », c’est en ces mots que se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat dans la révolution à l’égard de l’Etat. ». Lénine.

 

 

 

 

 

 

Pour saisir la conception et l’attitude marxiste par rapport au problème de l’Etat, il faut résoudre les questions suivantes : Qu’est-ce que l’Etat ? Quel est son rôle ? Comment se manifeste-t-il ? Quelles sont les diverses formes qu’il a prises aujourd’hui ? C’est là une application du matérialisme dialectique à un problème particulier, celui de l’Etat : il s’agit par-delà les apparences de définir la nature, la genèse et le rôle de l’Etat.

 

1) QU’EST - CE QUE L’ETAT ?

 

L’Etat n’a pas toujours existé : il y a eut des sociétés qui se sont passées de l’Etat ou du pouvoir d’Etat. Selon les connaissances actuelles de l’histoire de la société humaine le premier type de société a été la « commune primitive » (la mark germanique, les plus vieilles communautés aux Indes). Alors n’existaient pas encore de classes différentes. Les hommes vivaient en familles patriarcales, encore appelées « clan » ou « tribu ». Ce communisme primitif fait l’objet d’une partie de l’œuvre fondamentale de Friedrich Engels : Les origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat.

« Tels les hommes sortent primitivement du règne animal, tels ils entrent dans l’histoire : encore à demi animaux grossiers, impuissants encore en face des forces de la nature, ignorants encore de leurs propres forces ; par conséquent, pauvres comme les animaux et à peine plus productifs qu’eux, il règne une certaine égalité des conditions d’existences et, pour les chefs de famille, aussi une sorte d’égalité dans la position sociale, -- tout au moins une absence de classes sociales --, qui continue dans les communautés agraires naturelles des peuples civilisés ultérieurs. » (116)

La division du travail est à l’origine de la division de la société en classes. Ainsi, l’Etat est-il un « produit des antagonismes de classes inconciliables » (Lénine). C’est en effet lorsque les antagonismes de clases ne purent plus être « conciliés » qu’apparut la nécessité d’une force capable d’imposer non la conciliation, mais la domination d’une classe sur l’autre. L’Etat est donc « un instrument d’exploitation de la classe opprimée » (Lénine).

« (L’Etat) apparaît là et au moment où se manifeste la division de la société en classes, quand apparaissent exploiteurs et exploités. » (117).

Voilà pourquoi, dans le langage courant, on peut parler d’Etat esclavagiste, d’Etat féodal, d’Etat capitaliste. Ce dernier, qu’on appelle aussi l’Etat bourgeois, assure la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat et constitue un instrument d’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie.

« L’Etat, c’est une machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre. (…) L’Etat est une machine qui permet à une classe d’en opprimer une autre, une machine destinée à maintenir dans la sujétion d’une classe toutes les autres classes qui en dépendent. » (118)

Un changement important apparaît dans la fonction de l’apparition de l’Etat socialiste. L’Etat socialiste assure la domination du prolétariat sur ses anciens exploiteurs, c’est-à-dire la bourgeoisie. Mais ce n’est plus « un instrument d’exploitation d’une classe opprimée ». En effet, l’Etat prolétarien ne vise pas à exploiter la bourgeoisie mais à la détruire à travers une longue lutte de classes qui se poursuit sous la dictature du prolétariat. Quant aux autres classes (paysannerie, petite bourgeoisie) le prolétariat ne les exploite pas, mais les libère lui-même de la domination bourgeoise. Lénine définit ainsi le rôle de l’Etat soviétique après la Révolution d’Octobre :

« Cette machine, nous l’avons enlevé aux capitalistes, nous nous en sommes emparés. Avec cette machine, ou avec ce gourdin, nous anéantirons toute exploitation ; et quand il ne restera sur la terre plus aucune possibilité d’exploiter autrui, qu’il ne restera plus ni propriétaires fonciers ni propriétaires de fabriques, qu’il n’y aura plus de gavés d’un côté et d’affamés de l’autre, quand cela sera devenu impossible, alors seulement nous mettrons cette machine à la ferraille. Alors, il n’y aura plus d’Etat, plus d’exploitation. » (119)

Donc, pour connaître le contenu idéologique, politique et économique d’un Etat, il suffit de savoir quelle classe sert l’Etat et inversement : ceci est une conséquence de ce qui a été dit précédemment, c’est-à-dire la nature de classe de l’Etat.

 

2) COMMENT SE MANIFESTE L’ETAT ?

 

Selon Engels, l’Etat est une « force issue de la société, mais se plaçant au-dessus d’elle et s’en éloignant de plus en plus ». En quoi consiste cette force ? Comment se manifeste-t-elle ?

« Par rapport à l’ancienne société gentilice, l’Etat se caractérise en premier lieu par la répartition de ses ressortissants d’après le territoire (…). Cette répartition nous paraît « naturelle », mais elle a nécessité une lutte de longue haleine contre l’ancienne organisation par tribus ou par clans.

En second lieu vient l’institution d’une force publique qui ne coïncide plus directement avec la population s’organisant elle-même en force armée. Cette force publique particulière est nécessaire, parce qu’une organisation armée autonome de la population est devenue impossible depuis la scission en classes. » (120)

Ainsi, selon Engels, ce « pouvoir » qui s’appelle l’Etat, pouvoir issu de la société, mais se détachant d’elle et lui devenant de plus en plus étranger, se distingue :

  1. Tout d’abord, « par la répartition des ressortissants d’après la division territoriale ». Il s’agit des limites géographiques ou frontières qui n’existaient pas dans le communisme primitif.

  2. Ensuite par l’institution d’un pouvoir public qui comprend des « détachements spéciaux d’hommes armés et des accessoires matériels, prisons et institutions coercitives de toutes sortes. »

 

L’agent de police, le CRS, le juge, le gardien de prison, le militaire de carrière, le percepteur, le speaker de la radio et de la télévision, etc., manifestent l’existence de l’Etat « au-dessus de la population et s’en éloignant de plus en plus ».

Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que l’Etat domine la classe opprimée au bénéfice de la classe qui le détient et il s’éloigne de plus en plus des formes originelles de la société humaine.

En ce sens, l’Etat, « détachement spécial d’hommes armés » se distingue de plus en plus de l’organisation spontanée de la population en armes de la société primitive.

L’Etat socialiste conserve ces caractéristiques indispensables pour assurer la dictature du prolétariat. Mais il tend à faire de nouveau intervenir de plus en plus la population dans les affaires d’Etat. La Grande Révolution Prolétarienne en Chine s’est développée dans le cadre de la dictature du prolétariat. Des formes nouvelles d’intervention des masses se sont substituées à l’Etat coercitif dans de nombreux domaines. Mais les « détachements spéciaux d’hommes armés », prisons ou autres accessoires matériels de l’Etat ne pourront disparaître complètement qu’à l’époque supérieure du communisme :

« Ce que nous appelons communisme, c’est le régime où les hommes s’habituent à remplir leurs devoirs sociaux sans appareils de contraintes spéciaux, où le travail sans rémunération pour le bien commun devient un phénomène général. » (121)

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 21)

 

 

          1. LES FORMES CONTEMPORAINES DE L’ETAT

 

Il n’existe plus, ou seulement de manière tout à fait exceptionnelle, d’Etats caractéristiques du type de société esclavagiste. Les Etats de type féodal tendent à disparaître. Mao Tsetoung écrivait en 1939 :

« Les nombreux régimes d’Etats qui existent dans le monde peuvent donc être ramenés à trois types fondamentaux, d’après le caractère de classe du pouvoir politique :

a) La république de dictature bourgeoise ;

b) La république de dictature prolétarienne ;

c) La république de dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires. »

Il y a donc : l’Etat capitaliste, l’Etat socialiste et l’Etat de démocratie nouvelle.

 

  1. L’ETAT CAPITALISTE

 

Il assure la domination de la classe bourgeoise sur le prolétariat, sous trois formes essentielles : la monarchie, la démocratie bourgeoise et le fascisme :

« En expliquant le caractère de classe de la civilisation bourgeoise, de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme bourgeois, tous les socialistes ont exprimé cette idée, formulée de la manière la plus scientifique par Marx et Engels, à savoir que la république bourgeoise la plus démocratique n’est rien d’autre qu’un appareil permettant à la bourgeoisie de réprimer la classe ouvrière, permettant à une poignée de capitalistes d’écraser les masses laborieuses. » (122)

La monarchie absolue correspondait autrefois à une société de type féodal. La monarchie est devenue « libérale », « éclairée », ou « parlementaire » quand elle est devenue une forme étatique capitaliste (exemple actuel : l’Etat en Grande Bretagne a une monarchie parlementaire.)

La démocratie bourgeoise a institué le « suffrage universel ». Elle est née d’abord en France par la Révolution démocratique du 14 juillet 1789. Elle est, par excellence, une forme étatique du capitalisme usant des tromperies du parlementarisme et de l’électoralisme.

Le fascisme est une forme étatique du capitalisme qui assure, selon Dimitrov « la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier. »

 

Ces trois formes de l’Etat assurent la dictature de la bourgeoisie :

« Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »

« L’Etat moderne, quelle que soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’Etat des capitalistes est le capitalisme collectif en idée. » (123)

 

La France contemporaine vit dans une démocratie bourgeoise en voie de fascisation. L’Etat est engagé dans un processus destiné à permettre la substitution éventuelle du fascisme à la forme démocratique bourgeoise actuelle. Cette éventualité aurait pour but d’opposer, en cas de nécessité, un Etat plus efficace dans la défense des privilèges et de la domination de la bourgeoisie, attaquée par la montée du mouvement révolutionnaire. La crise générale en cours du capitalisme français et mondial, crée des conditions historiques comportant cette hypothèse … ou la révolution prolétarienne.

 

  1. L’ETAT SOCIALISTE

 

Il assure la domination du prolétariat sur la bourgeoisie. Sa fonction historique est d’assurer l’étape transitoire du capitalisme au communisme. A ce sujet, Lénine a indiqué dans L’Etat et la Révolution :

« Le passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment pas ne pas fournir une énorme abondance et diversité de formes politiques mais leur essence sera inévitablement une : la dictature du prolétariat. » (124)

Jusqu’à aujourd’hui, la dictature du prolétariat garantie par l’Etat socialiste, a « fourni » trois formes historiques : la Commune de Paris, le pouvoir des Soviets, et la démocratie populaire.

 

La Commune de Paris institua en effet la première forme d’Etat de dictature du prolétariat. Mais, à son époque, n’existait pas encore un parti révolutionnaire spécifiquement prolétarien. Son Etat souffrait gravement de la direction anarchique de plusieurs partis, révolutionnaires, certes, mais qui ne disposaient ni du contenu de classe, ni des structures, ni du fonctionnement d’un authentique parti du prolétariat.

 

Le pouvoir des Soviets a constitué la forme étatique supérieure de la dictature du prolétariat dirigée par un seul parti, le parti du prolétariat, parti nouveau, créé et édifié par Lénine et Staline.

 

La démocratie populaire a exercé « les fonctions de la dictature du prolétariat » (Dimitrov). Elle est apparue, dans des conditions particulières, après la victoire de la révolution anti-impérialiste et anti-colonialiste en Asie, comme après la victoire de la guerre de libération nationale contre le nazisme et le fascisme en Europe. Dans un Etat de démocratie populaire, la dictature du prolétariat s’exerce sous la direction du parti de la classe ouvrière, s’appuyant sur une alliance avec des partis ou groupements représentant d’autres classes ou couches sociales, comme par exemple la paysannerie pauvre et moyenne ou la bourgeoisie nationale.

 

  1. LA DEMOCRATIE NOUVELLE

 

Le régime d’Etat de la démocratie nouvelle est une forme d’Etat transitoire entre l’Etat capitaliste et l’Etat socialiste. Il est apparu dans la phase précédant la démocratie populaire, dans des pays jusque-là dominés par l’impérialisme, le colonialisme et le fascisme. Il assure la « dictature conjointe de plusieurs classes anti-impérialistes ». Il a été théorisé par Mao Tsetoung dans le cas particulier de la Chine. Le Vietnam du Nord a connu aussi une phase de démocratie nouvelle, tout comme plusieurs pays d’Europe centrale et orientale immédiatement après la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans le cas de ces derniers pays, Jdanov qualifia, en 1947, leur système de « nouvelle démocratie ». Mao Tsetoung a aussi employé la formule « démocratie populaire ». Il convient donc d’éviter toute erreur assimilant une démocratie populaire, dictature conjointe de plusieurs classes, et une démocratie populaire, assurant la fonction de la dictature du prolétariat. Ce sont deux formes étatiques différentes.

 

La forme étatique de la dictature du prolétariat instaurée dans un pays où la révolution socialiste a brisé un Etat subordonné au capitalisme monopoliste (donc parvenu au stade capitaliste monopoliste d’Etat) n’a pas encore fait l’objet d’une seule expérience concrète. Sa théorisation reste donc difficile à élaborer sinon impossible.

 

  1. L’APPORT DE LA COMMUNE DE PARIS A LA THEORIE MARXISTE DE L’ETAT

 

En 1847, Marx et Engels avaient découvert que la lutte de classes constitue le moteur de l’histoire. Mais l’expérience de la Commune de Paris fournit à Marx la démonstration que « la classe ouvrière ne peut pas simplement s’emparer de la machine d’Etat toute prête et la mettre en marche pour la faire servir à ses propres fins… » Comme l’indiquait le Manifeste du parti communiste. Dans la Guerre civile en France (1871) et à l’occasion des lettres ou préfaces concernant cet ouvrage sur la Commune de Paris, Marx développa l’idée que la classe ouvrière doit briser, démolir « la machine d’Etat toute prête » et ne pas se borner simplement à s’en emparer.

Lénine, dans L’Etat et la Révolution préserva et développa cette idée fondamentale de Marx :

« « Briser la machine bureaucratique et militaire », c’est en ces mots que se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat dans la révolution à l’égard de l’Etat. » (125)

Mao Tsetoung assigna les tâches de la révolution d’une manière encore plus claire si possible :

« La tâche centrale et la forme suprême de la révolution c’est la conquête du pouvoir par la lutte armée, c’est résoudre le problème par la guerre. Ce principe révolutionnaire du marxisme-léninisme est valable partout. » (126)

Et par quoi remplacer la machine d’Etat démolie ? La République prolétarienne socialiste de la Commune de Paris avait commencé à créer un Etat dont « le premier décret… supprima l’armée permanente et la remplaça par le peuple en arme », puis supprima toute la « bureaucratie », remplaça le parlementarisme par « une assemblée non parlementaire mais agissante, ayant en même temps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ». Lénine dit :

« La Commune est la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour briser la machine d’Etat bourgeoise, c’est la forme politique « enfin trouvée » par quoi l’on peut remplacer ce qui a été brisé… les révolutions russes de 1905 et de 1917, dans une situation différente, en d’autres conditions, continuent l’œuvre de la Commune et confirment la géniale analyse historique de Marx. » (127)

Cette forme du premier Etat prolétarien de l’histoire fut, en 1871, la première expérience de dictature du prolétariat

 

  1. CRITIQUES DES THEORIES NON-PROLETARIENNES DE L’ETAT

 

  1. Le révisionnisme renonce à la dictature du prolétariat.

Critiquant les sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale, les révisionnistes de l’époque, Lénine précisait en 1917, peu avant la Révolution :

« Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. » (128)

Ce critère fondamental permet de nos jours de démasquer les révisionnistes modernes comme représentants de la bourgeoisie au même titre qu’hier le furent par Lénine tous les opportunistes et réformistes comme Kautsky et Bernstein.

Par exemple Khrouchtchev et ses successeurs ont prétendu parvenir au communisme dans un bref délai. En s’appuyant sur cette fanfaronnade, ils ont avancé leur théorie révisionniste de l’ « Etat du peuple tout entier », se substituant à la dictature du prolétariat. Mais ce ne fut là qu’un stratagème pour permettre à une nouvelle bourgeoisie d’usurper, après la mort de Staline, le pouvoir soviétique, de le transformer dans le sens de sa domination et de ses intérêts de classe opposés à ceux de l’immense prolétariat soviétique. Et finalement, ils ont établi de nouveau la dictature de la bourgeoisie sous une forme étatique « sociale fasciste ».

 

  1. L’anarchisme

Les anarchistes veulent limiter la révolution à briser l’Etat de la bourgeoisie sans le remplacer par la dictature du prolétariat.

Cette attitude erronée correspond à leur méconnaissance théorique de l’origine et de la nature de l’Etat, instrument de domination d’une classe sur une autre classe opprimée. Elle revient à supposer qu’après la révolution disparaissent les antagonismes de classes et les classes elles-mêmes, alors qu’en réalité ce processus est infiniment plus complexe et plus long et ne disparaîtra pas, jusqu’au communisme.

Les anarchistes veulent instaurer une société « sans classe », mais ils ne s’en donnent nullement les moyens car, pour démolir, briser l’Etat de la bourgeoisie, il faut d’abord instaurer la force capable de mener cette tâche historique jusqu’au bout, c’est-à-dire la dictature du prolétariat. La révolution prolétarienne ne peut se passer de l’Etat de dictature du prolétariat pour accomplir complètement la destruction de l’Etat bourgeois.

 

  1. LE COMMUNISME ET LE DEPERISSEMENT DE L’ETAT

 

Marx qualifie le socialisme de « première phase de la société communiste ». Pendant cette phase qui assure la transition du capitalisme au communisme, subsiste l’Etat. Les expériences d’édification du socialisme, expériences victorieuses en Union soviétique et en République populaire de Chine, nous montrent que l’étape du socialisme est longue et ardue ; pendant cette période, la bourgeoisie ne se tient jamais pour battue, et la réaction essaye de prendre sa revanche de l’intérieur (révisionnisme) ou de l’extérieur (encerclement impérialiste). Dans toute cette période, le problème consiste à faire régner l’idéologie prolétarienne.

Par sa victoire, la Grande Révolution Prolétarienne Culturelle en Chine a incrusté plus solidement l’Etat de dictature du prolétariat. La voie suivie par cet Etat socialiste est fondamentalement inverse de la voie suivie par Khrouchtchev et ses successeurs, qui ont essayé et réussi à diluer la dictature du prolétariat dans un « Etat du peuple tout entier ».

Donc, l’Etat socialiste (dictature du prolétariat) assure la démocratie pour l’immense majorité du peuple et réprime par la force les exploiteurs et oppresseurs du peuple ; il assure aussi l’hégémonie prolétarienne par la refonte idéologique, morale et culturelle de l’homme. Engels s’exprime à ce sujet en écrivant :

« Tant que le prolétariat a besoin de l’Etat ce n’est point pour la liberté mais pour réprimer ses adversaires et le jour où l’on pourra parler de liberté il n’y aura plus d’Etat. » (129)

« Seul le communisme rend l’Etat superflu – écrit Lénine – car il n’y a alors personne à réprimer, « personne » dans le sens de classe, dans le sens de lutte systématique contre une partie déterminée de la population. »

 

 

 

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4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 07:52

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 18)

DEUXIEME EXEMPLE : Les classes sociales en France à notre époque.

 

En France actuelle le système social est un capitalisme qui est parvenu à un stade monopolistique d’Etat, le « capitalisme monopoliste d’Etat ». En France à notre époque – époque de la bourgeoisie – la contradiction fondamentale se manifeste dans l’opposition irréductible des intérêts de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie (« prolétariat » et « bourgeoisie » sont entendus au sens déjà précisé) :

« Notre époque – l’époque de la bourgeoisie – se distingue cependant par la simplification des antagonismes de classe. La société tout entière se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées la bourgeoisie et le prolétariat. » (101)

On distingue aujourd’hui : la classe ouvrière, la bourgeoisie capitaliste, les classes et couches moyennes.

 

  1. La classe ouvrière est composée d’hommes et de femmes dépourvus de tout moyen de production. Ils ne peuvent vivre qu’en vendant leur « force de travail » aux capitalistes.

« Sous ce nom (force de travail) il faut entendre l’ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d’un homme, dans sa personnalité vivante et qu’il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles.» (102)

Les ouvriers agricoles font partie intégrante de la classe ouvrière. Ils ne sont propriétaires d’aucune terre et vendent leur « force de travail » à des propriétaires fonciers ou à des fermiers.

 

L’ « aristocratie ouvrière » est une couche de la classe ouvrière. Par aristocratie ouvrière on entend la couche supérieure de la classe ouvrière, couche corrompue par de hauts salaires et ayant adopté un genre de vie et une conception du monde propre à la bourgeoisie. Ces « chefs ouvriers » jouent un rôle d’encadrement et de répression contre les ouvriers dans les usines et sur les chantiers. Pour situer cette couche il convient de distinguer la détermination de classe et la position de classe : l’aristocratie ouvrière appartient à la classe ouvrière en tant qu’elle doit vendre sa force de travail pour subsister et maintenir son niveau de vie, mais elle a une position de classe bourgeoise par son mode de vie et son idéologie.

 

  1. La bourgeoisie capitaliste est composée de propriétaires des moyens de production (Usines, machines, terres) qui achètent la « force de travail » des ouvriers pour en tirer le profit maximum.

Le propriétaire capitaliste, à notre époque, existe sous diverses catégories : bancaire, industrielle, agricole, et se présente sous diverses formes : celle des monopoles capitalistes, celle des capitalistes indépendants ou privés (ou petits et moyens capitalistes relativement aux groupes capitalistes monopolistes). La propriété capitaliste se dissimule en général sous le couvert de sociétés de capitaux dites « anonymes ».

 

  1. Entre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste subsistent depuis l’ancienne société féodale, où se constituent au cours du processus de développement du capitalisme d’autres classes ou couches sociales.

Ce sont les classes ou couches moyennes que certains de leurs caractères rapprochent de l’une ou de l’autre des deux classes fondamentales mais qui, vis-à-vis de l’une ou de l’autre ne jouent pas un « rôle similaire » et ne sont pas à la fois dans des « rapports identiques ». Ces classes, suivant la conjoncture concrète, ont une position de classe prolétarienne ou bourgeoise.

Ces classes et couches moyennes sont :

  • D’une part, certaines couches de travailleurs salariés comme les employés, les petits fonctionnaires et agents de services publics. Ils ne sont pas propriétaires de moyens de production, mais vendent leur force de travail. Ils ne produisent pas de marchandises mais leurs appointements sont de l’ordre des salaires des ouvriers.

  • D’autre part, les petits et moyens paysans (ce sont des couches de la paysannerie issue du système féodal). Ils peuvent être propriétaires ou locataires des terres qu’ils exploitent pour produire des marchandises. Ils produisent ces marchandises par leur propre force de travail ou en achetant la force de travail d’ouvriers agricoles en plus de la leur propre.

 

Les petits et moyens commerçants, qui ne vendent pas leur force de travail mais ne produisent pas de marchandises et ne sont pas propriétaires des moyens de production.

 

Les artisans, qui produisent des marchandises mais ne vendent pas leur force de travail et peuvent être propriétaires de leurs propres moyens de production.

 

Les professions libérales, qui ne sont pas propriétaires de moyens de production et ne vendent pas leur force de travail.

 

Les intellectuels et étudiants ne constituent pas une classe sociale mais sont à rattacher selon leurs origines et leur devenir aux différentes classes et couches sociales.

 

          1. LA LUTTE DE CLASSE, MOTEUR DE L’HISTOIRE

 

Pour le marxisme, il n’y a pas d’abord existence des différentes classes sociales, qui entrent ensuite dans la lutte de clases. Mais les classes sociales recouvrent des pratiques de classes, c’est-à-dire la lutte de classes. Les classes sociales ne sont posées que dans leur opposition : les classes sociales signifient, pour le marxisme, dans un et même mouvement, contradictions de classes et luttes de classes ; dès leur apparition les classes sociales entrent en contradiction.

Les contradictions et les luttes de classes sont ce qui détermine la vie et anime le mouvement et le développement des sociétés de classes.

C’est là l’illustration d’une loi dialectique : plus généralement, les choses changent parce qu’elles renferment une contradiction interne (elles-mêmes et leurs contraires). Les contraires sont en conflit et les changements naissent de ces conflits : les changements sont la solution de ces conflits. C’est la loi de l’unité des contraires :

« La loi de la contradiction inhérente aux choses, aux phénomènes, ou la loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la dialectique matérialiste. Lénine dit : « Au sens propre, la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses… » ». (103)

Ainsi par exemple, la société capitaliste présente une contradiction interne ente la bourgeoisie et le prolétariat ; le changement dans la société capitaliste et son développement s’expliquent par ce conflit. La transformation de la société capitaliste en société socialiste est la suppression ou solution de ce conflit.

« L’universalité ou le caractère absolu de la contradiction a une double signification : la première est que les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène ; la seconde que, dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin. » (104)

Prenons le cas de la formation sociale de la France actuelle où le mode de production capitaliste est dominant. L’ancienne unité (le mode de production féodal) et les contraires qui la constituent (barons et serfs, maîtres de jurande et compagnons) ont fait place à de nouveaux contraires (bourgeoisie et prolétariat). Alors est né un nouveau processus qui succède à l’ancien. L’ancien processus s’achève et le nouveau processus surgit ; comme le nouveau processus renferme ses propres contradictions commence alors l’histoire du développement de ces nouvelles contradictions.

« La lutte de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie passait au premier plan de l’histoire des pays avancés de l’Europe, proportionnellement au développement de la grande industrie d’une part, et de la domination politique nouvellement conquise par la bourgeoisie d’autre part. »

« La contradiction entre le Travail et le Capital est née avec l’apparition de la bourgeoisie et du prolétariat, mais elle n’est devenue aiguë que plus tard. » (105)

Et plus généralement :

« L’histoire (plus exactement l’histoire écrite) de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des clases. » (106)

 

Cependant pour bien poser le problème des classes sociales et des luttes de classes il convient de jeter un coup d’œil sur l’ensemble de l’évolution historique, sur l’histoire écrite et sur l’histoire non écrite. En traitant ainsi la question, on remarque que les classes sociales et les luttes de classes n’ont pas toujours existées. Le fait fondamental de l’évolution de l’humanité est l’apparition de cette division en classes au cours de l’histoire :

« Avant que surgît la première forme de l’exploitation de l’homme par l’homme, la première forme de la division en classes – propriétaires d’esclaves et esclaves – il y avait la famille patriarcale ou, comme on l’appelle parfois, clanale…, et des vestiges assez nets de ces époques anciennes ont subsisté dans les mœurs de maints peuples primitifs… attestant qu’il fut un temps plus ou moins semblable à un communisme primitif, où la société n’était pas divisée en propriétaires d’esclaves et esclaves. » (107)

Depuis la première division de la société en classes, les sociétés successives ont toujours été divisées en classes antagonistes. La division de la société en classes est née de la division du travail. L’apparition d’un premier mode de production : chasse et pêche, et d’un deuxième mode de production : l’élevage, donne naissance à la division entre tribus sauvages et tribus de pasteurs. C’est cette première division du travail qui est à la base de la première division de la société en classes : maîtres et esclaves.

Une deuxième division du travail va séparer les agriculteurs et les artisans de métiers. La production marchande crée une troisième division du travail et donne naissance à la classe des marchands. A ce moment-là nous avons dans la société une triple division du travail et trois classes : les agriculteurs, les artisans et les marchands. Avec l’apparition de la classe des marchands est née pour la première fois une classe qui ne participe pas à la production, et qui va dominer les deux autres classes.

Ces étapes de l’histoire de l’humanité se sont toujours succédées à la suite de révolutions violentes nées de la lutte de clases :

« Les révolutions sociales sont historiquement inévitables aux différentes étapes de l’histoire de l’humanité et se produisent en fonction de lois objectives indépendantes de la volonté de l’homme. » (108)

Les esclaves se sont affranchis de leurs propriétaires, les serfs se sont libérés de leurs maîtres, les bourgeois ont aboli les pouvoirs des seigneurs, les prolétaires ont brisé des Etats capitalistes ou dominés par l’impérialisme. Ainsi la lutte de classes est-elle le moteur de l’histoire et fait-elle progresser l’humanité comme l’ont établi, dès 1847, Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste :

« Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot, oppresseurs et opprimés, en opposition constante ont mené une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. » (109)

De nos jours, la lutte de classes entre prolétariat et bourgeoisie capitaliste conduit au socialisme par la révolution prolétarienne et l’instauration de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire à la suppression des classes sociales :

« La suppression des classes est le résultat d’une lutte de classe longue, difficile, opiniâtre, qui après le renversement du pouvoir du Capital, après la destruction de l’Etat bourgeois, après l’instauration de la dictature du prolétariat, ne disparaît pas, mais ne fait que changer de forme pour devenir plus acharnée à bien des égards. » (109)

 

Mao Tsetoung a eu le mérite de développer la théorie de la lutte de classe en saisissant cette idée juste de Lénine, suivant qui la lutte de classes persiste très longtemps après la révolution prolétarienne, ce qui justifie le maintien de la dictature du prolétariat.

 

Le révisionnisme moderne apporte la preuve de cette réalité scientifique. Une nouvelle classe bourgeoise s’est constituée et a usurpé les directions de certains partis communistes, au pouvoir ou non, ente autres en Union Soviétique et en France, ainsi que l’Etat soviétique et les Etats d’autres pays de démocratie populaire. La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne de Chine a été déclenchée par Mao Tsetoung pour écraser les tentatives similaires de la bourgeoisie en Chine. Ce ne sera qu’à l’ultime stade du communisme que disparaîtra la lutte de classes :

« Sous la direction de la classe ouvrière et du Parti communiste, nos 600 millions d’hommes, étroitement unis, se consacrent à l’œuvre grandiose de l’édification socialiste. L’unification de notre pays, l’unité de notre peuple et l’union de toutes nos nationalités sont les garanties fondamentales de la victoire certaine de notre cause. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe plus aucune contradiction dans notre société. Il serait naïf de le croire ; ce serait se détourner de la réalité objective. Nous sommes en présence de deux types de contradictions sociales : les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple. Ils sont de caractère tout à fait différent. » (110)

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 19)

 

    1. « L’IDEOLOGIE DOMINANTE D’UNE SOCIETE EST CELLE DE LA CLASSE DOMINANTE. (111)

 

Disposant de tous les organes de l’Etat, la classe dominante peut les utiliser à son gré pour développer son idéologie au sein du peuple. Les organes d’information jouent un rôle de propagande très important, l’art et la culture ont une fonction de classe décisive ; d’autres organes, comme la justice, exercent aussi une influence capitale.

L’idéologie dominante d’une société capitaliste est l’idéologie bourgeoise. L’idéologie dominante d’une société socialiste est l’idéologie prolétarienne. En France d’aujourd’hui où domine la classe bourgeoise, on parle de justice bourgeoise, de grande presse bourgeoise, etc., qui sont avec les religions, des supports de l’idéologie bourgeoise dominante. Dans un pays socialiste il y a la justice populaire, la presse prolétarienne, etc., qui sont des supports de l’idéologie dominante du prolétariat. Art, littérature, et culture portent toujours le caractère d’une idéologie.

« Dans la société de classes, chaque homme vit en tant que membre d’une classe déterminée et il n’existe aucune pensée qui ne porte une empreinte de classe. » (112)

 

    1. L’ANALYSE DES CLASSES

 

L’analyse des classes est « une question primordiale pour la révolution » (Mao Tsetoung). Une juste analyse des classes, de la situation concrète des classes sociales d’une société est indispensable pour élaborer une stratégie et des tactiques révolutionnaires efficaces. Car cette analyse permet de déterminer à chaque étape donnée, « qui est notre ami, qui est notre ennemi » et qui peut être neutralisé au cours du processus des luttes révolutionnaires.

« Quels sont nos ennemis et quels sont nos amis ? C’est là une question d’une importance primordiale pour la révolution. Si, dans le passé, toutes les révolutions en Chine n’ont obtenu que peu de résultats, la raison essentielle en est qu’elles n’ont point réussi à unir autour d’elle leurs vrais amis pour porter des coups à leurs vrais ennemis. » (113)

L’analyse des classes n’est pas valable une fois pour toutes. Elle doit être modifiée au cours du développement de l’histoire d’un peuple car les contradictions des classes secondaires s’aiguisent ou s’atténuent par rapport aux classes fondamentales, en fonction de l’évolution de la contradiction fondamentale elle-même.

« …Dans la société capitaliste les deux forces en contradiction, le prolétariat et la bourgeoisie, forment la contradiction fondamentale ; les autres contradictions, comme par exemple la contradiction entre les restes de la classe féodale et la bourgeoisie, la contradiction entre la petite bourgeoisie paysanne et la bourgeoisie, la contradiction entre le prolétariat et la petite bourgeoisie paysanne, la contradiction entre la bourgeoisie libérale et la bourgeoisie monopoliste, la contradiction entre la démocratie et le fascisme au sein de la bourgeoisie, les contradictions entre les pays capitalistes et les contradictions entre l’impérialisme et les colonies, sont toutes déterminées par la contradiction principale ou soumises à son action. » (114)

 

  1. LUTTE DE CLASSES ET DICTATURE DU PROLETARIAT

 

Il faut étendre la reconnaissance de la lutte de classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat : c’est là un critère important pour distinguer les vrais marxistes des faux marxistes et pour démasquer le révisionnisme. Aujourd’hui, les dirigeants révisionnistes se proclament toujours partisans de la « lutte de classes », mais dans l’ex-U.R.S.S. comme en France, dans la pratique, ils renient la dictature du prolétariat. Lénine a écrit dans L’Etat et la Révolution :

« Quiconque reconnaît uniquement la lutte des classes n’est pas pour autant un marxiste : il peut se faire qu’il ne sorte pas encore du cadre de la pensée bourgeoise et de la politique bourgeoise. Limiter le marxisme à la lutte des classes, c’est le tronquer, le déformer ; le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. Celui-là seul est marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. C’est ce qui distingue foncièrement le marxiste du vulgaire petit (et aussi du grand) bourgeois. » (115)

 

 

 

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 07:51

Liberté, égalité, fraternité (Partie 16)

 

 

DEUXIEME PARTIE

 

 

 

LENINE ET STALINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

Le problème du pouvoir politique est un problème fort important pour la théorie marxiste-léniniste de la révolution. Les tâches du prolétariat révolutionnaire organisé en parti marxiste-léniniste, consistent à renverser la bourgeoisie et à instaurer le socialisme grâce à la dictature du prolétariat. C’est ici que se manifeste de façon très aiguë la lutte entre les deux voies d’édification du socialisme, la lutte entre la théorie opportuniste, et la théorie marxiste-léniniste. La théorie marxiste-léniniste prend forme et se développe au cours même de la lutte contre la théorie idéaliste de l’opportunisme et du révisionnisme

 

  1. LENINE ET LE REVISIONNISME :

 

La Deuxième Internationale est fondée à Paris en 1889 : elle règne dans le mouvement ouvrier sans rencontrer d’opposition sérieuse. Les partis sociaux-démocrates y sont affiliés. Commence alors une nouvelle période en Europe, qui va de 1872 à 1904, et qui est caractérisée par une accalmie, après la période antérieure, traversée par de nombreuses révolutions (entre autres, en France, la Révolution de 1848, et la Commune de Paris de 1871).

Cette nouvelle période se caractérise par un développement « pacifique » du capitalisme à l’intérieur des pays « civilisés ». Cette période relativement calme eut pour conséquence le reflux du mouvement révolutionnaire. Cette période est celle de la transformation du capitalisme de concurrence en capitalisme de monopoles. Avec la fin du XIX° siècle apparut définitivement le stade de l’impérialisme : « La majorité des populations des nations du globe (étant dominée) à la faveur d’un capitalisme hautement développé et plus que mûr. ».

A l’extérieur de l’Europe se développent pendant cette période les guerres pour les conquêtes de colonies en Afrique, en Asie, dans le monde entier. Les rivalités entre les impérialistes acheminent l’Europe et le monde vers la guerre de 1914-1918. Celle-ci voit l’éclatement de la Deuxième Internationale, chacune des sections nationales ayant apporté son soutien à sa propre bourgeoisie impérialiste. La Deuxième Internationale était devenue complètement opportuniste et social chauvine. Qu’est-ce que l’opportunisme ? Lénine en définit ainsi la genèse :

« La dialectique de l’histoire est telle que la victoire du marxisme en matière de théorie oblige ses ennemis à se déguiser en marxistes. Le libéralisme, pourri à l’intérieur, tente de reprendre vie sous la forme de l’opportunisme socialiste. La période de préparation des forces pour les grandes batailles, ils l’interprètent comme une renonciation à ces batailles. L’amélioration de la condition des esclaves en vue de la lutte contre l’esclavage salarié se fait, selon eux, au prix de l’abandon, pour un sou, par les esclaves, de leur droit à la liberté. Ils prêchent lâchement la « paix sociale » (c’est-à-dire la paix avec l’esclavagisme), la renonciation à la lutte des classes, etc. Ils ont de nombreux partisans parmi les parlementaires socialistes, les différents fonctionnaires du mouvement ouvrier et les intellectuels « sympathisants ». » (87)

Dans ce texte tiré de l’œuvre de Lénine : Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx est parfaitement résumée l’essence de l’opportunisme qui prend racine dans l’impérialisme.

 

LA DEUXIEME INTERNATIONALE :

 

Les opportunistes prêchaient ouvertement l’abandon de la lutte révolutionnaire, la théorie de l’ « intégration du capitalisme dans le socialisme ». Les partis de la Deuxième Internationale étaient atteints d’opportunisme dès avant la guerre de 1914-1918. La Deuxième Internationale se refusait à combattre l’opportunisme ; elle était pour faire la paix avec lui et le laissait se fortifier. En pratiquant une politique de conciliation avec l’opportunisme, la Deuxième Internationale était devenue elle-même opportuniste.

L’origine de l’opportunisme est, comme le démontre Lénine dans son ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, le développement de l’impérialisme même. Quelle est sa base sociale ?

Avec les profits qu’elle tirait de ses colonies, la bourgeoisie impérialiste des pays avancés achetait systématiquement, grâce à des salaires élevés et autres aumônes, les couches supérieures des ouvriers qualifiés, l’aristocratie ouvrière comme on les appelait.

C’est de cette catégorie d’ouvriers qu’étaient sortis de nombreux dirigeants des syndicats et des coopératives, des conseillers municipaux et parlementaires, des employés de la presse et des organisations social-démocrates. Au moment de la guerre de 1914-1918, ces gens ont eu peur de perdre leur situation, et sont devenus adversaires de la révolution, et les défenseurs les plus enragés de leur bourgeoisie, de leurs gouvernements impérialistes.

Comment ce révisionnisme se manifestait-il dans le domaine de la conception du pouvoir politique et du parti du prolétariat ? Les partis sociaux-démocrates étaient socialistes en paroles, mais impérialistes en fait : ils étaient sociaux chauvins. Ils défendaient leur bourgeoisie impérialiste. Ils trahissaient ainsi la conception marxiste du parti internationaliste.

Les partis sociaux-démocrates n’incitaient pas les masses à la révolution, mais s’appliquaient seulement à suivre leurs aspirations spontanées et proposaient avant tout des réformes pour satisfaire leurs revendications. Ils trahissaient ainsi la conception marxiste du parti ayant pour but le renversement de la bourgeoisie, c’est-à-dire la révolution et la prise du pouvoir.

Les partis sociaux-démocrates avaient une composition sociale essentiellement petite bourgeoise. Peu de leurs dirigeants venaient de la classe ouvrière, et, quand tel était le cas, il s’agissait d’éléments corrompus déjà achetés par la bourgeoisie. Ils trahissaient ainsi la conception marxiste du parti constitué par l’avant-garde du prolétariat.

Les chefs des partis sociaux démocrates (Edouard Bernstein, Karl Kautsky, Jules Guesde, Jean Jaurès, …) accordaient au parlementarisme l’essentiel de leurs efforts. Pour justifier leur pratique, ils avançaient toute sorte de justifications allant à l’encontre des principes formulés antérieurement par Marx et Engels. Ils trahissaient ainsi la conception marxiste du parti porteur de la théorie révolutionnaire.

Ce révisionnisme ancien, anti-marxiste, se manifestait aussi dans le domaine de l’organisation et dans le style des partis sociaux-démocrates. Ainsi, la discipline organisée et librement consentie que préconisent Marx et Engels, dans le but de consolider chaque parti et de renforcer son efficacité, au service du prolétariat, fut complètement abandonnée :

« Du socialisme, Kautsky prend ce qui est recevable pour les libéraux, pour la bourgeoisie (critique du moyen âge, rôle historiquement progressif du capitalisme en général et de la démocratie capitaliste en particulier) ; il rejette, il passe sous silence, il estompe ce qui dans le marxisme est irrecevable pour la bourgeoisie (violence révolutionnaire du prolétariat contre la bourgeoisie, pour l’anéantissement de cette dernière). Voilà pourquoi, par sa position objective et quelles que puissent être ses conceptions subjectives, Kautsky s’avère inévitablement un laquais de la bourgeoisie. » (88)

 

LENINE

 

La faillite de la Deuxième Internationale, et la trahison du prolétariat par les partis sociaux-démocrates, phénomène négatif, entraîne dialectiquement l’apparition de son contraire, le phénomène positif de la fidélité absolue de Lénine et, sous sa direction, du parti ouvrier social-démocrate de Russie, au marxisme. Le léninisme est à la fois la sauvegarde et le prolongement des principes de Marx et Engels, leur enrichissement.

Si on comprend à quel point les courants révisionnistes de Bernstein et de Kautsky avaient révisé le marxisme, l’on apprécie comme Lénine l’a sauvegardé. Il convient d’apprécier à la fois cette sauvegarde et cet enrichissement du marxisme, devenu marxisme-léninisme, en ce qui concerne le problème fondamental du pouvoir politique et du parti marxiste-léniniste.

 

  1. LE MARXISME-LENINISME ET LE REVISIONNISME MODERNE :

 

Cependant le léninisme a aussi été révisé de nos jours : nous allons voir pourquoi et comment. Mais d’abord, considérons de quel point de vue nous allons analyser le problème du pouvoir politique chez Lénine. Si le léninisme a été révisé, c’est-à-dire vidé de son contenu révolutionnaire et remplacé par un contenu bourgeois, de quel point de vue allons-nous nous placer pour traiter du léninisme ?

Pour rester fidèle au léninisme, et ne pas se placer du point de vue de ceux qui l’ont révisé, il faut se placer du point de vue des intérêts du prolétariat révolutionnaire, donc du point de vue du parti du prolétariat et de la perspective de la révolution prolétarienne en France. Mao Tsé-toung a écrit : « La vérité, c’est la pratique ». Ceci permet d’échapper, à deux défauts : le dogmatisme et le sectarisme, car : « Il ne saurait y avoir de dogmatisme là où le critère suprême et unique de la doctrine est dans sa correspondance avec le processus réel du développement économique et social ; il ne saurait y avoir de sectarisme quand il s’agit de contribuer à l’organisation du prolétariat, et que, par suite, le rôle des « intellectuels » consiste à rendre inutile l’existence de dirigeants spécialisés, intellectuels. » (89)

 

LE REVISIONNISME MODERNE :

 

Dans Marxisme et Révisionnisme Lénine dit que « La doctrine (de Marx) a dû conquérir de haute lutte chaque pas fait sur le chemin de la vie. »

En effet, au sein du mouvement ouvrier depuis ses débuts, l’idéologie prolétarienne s’est constituée et développée dans la lutte contre les théories opportunistes issues de l’idéologie bourgeoise.

Marx et Engels ont lutté toute leur vie contre le proudhonisme (Proudhon), le bakouninisme (Bakounine), le blanquisme (Blanqui) et d’autres idéologies bourgeoises. Lénine a lutté toute sa vie contre le populisme, le « marxisme légal », le menchevisme toutes les variantes de l’économisme, et autres idéologies bourgeoises. Continuant l’œuvre de Lénine, Staline dirigea la lutte du parti communiste (bolchevick) de l’U.R.S.S. contre les traîtres boukhariniens (Boukharine), zinoviéviste (Zinoviev), et autres trotskistes (Trotski) puis contre le révisionnisme de Tito.

Après la seconde guerre mondiale, le capitalisme monopoliste d’Etat connaît une période de développement plus ou moins « pacifique » dans les pays capitalistes avancés. L’impérialisme entreprend une offensive générale contre les peuples (par exemple au Vietnam), contre les pays socialistes et contre les partis communistes. Cette offensive de l’impérialisme rencontra un terrain propice chez certains membres des partis communistes plus enclins, après la terrible lutte de la seconde guerre mondiale, à chercher des voies plus « faciles » pour la victoire de la révolution (Togliatti en Italie, Thorez en France). L’ensemble de ces phénomènes aviva la lutte entre la voie bourgeoise et la voie prolétarienne dans les partis communistes. Le révisionnisme moderne se manifesta d’abord dans la Ligue des communistes de Yougoslavie avec la victoire de Tito. Puis le révisionnisme moderne, avec Krouchtchev à sa tête, s’empara du pouvoir dans le parti communiste (bolchevick) de l’U.R.S.S. et dans d’autres partis. Krouchtchev inaugura (dans son rapport au XX° congrès de l’U.R.S.S.) deux thèses révisionnistes d’importance mondiale pour le développement de la révolution :

  1. La guerre n’est plus inévitable (« coexistence pacifique » avec l’impérialisme) ;

  2. Le « passage pacifique » au socialisme est possible dans de nombreux pays capitalistes.

 

LE MARXISME-LENINISME :

 

Le mouvement communiste international s’est scindé en deux parties antagonistes :

  • D’une part, l’U.R.S.S., et les pays de l’Est, et leur parti communiste respectif, se sont transformés provisoirement en pays capitalistes, ainsi que les partis communistes de différents pays se sont transformés en « partis ouvriers » bourgeois, tels le parti « communiste » français, ou le parti « communiste » italien…

Qu’est-ce qui distingue le révisionnisme moderne du révisionnisme ancien ? Quelle est la spécificité du révisionnisme moderne ?

Fiqret Shehu écrit en 1971 : « 1) La caractéristique essentielle qui distingue le révisionnisme actuel de l’ancien révisionnisme, bernsteinien, consiste en ce fait qu’il n’est pas seulement un courant idéologique opportuniste hostile au marxisme dans le mouvement communiste, mais également un révisionnisme au pouvoir, qui a atteint de nombreux pays et, au premier chef, l’Union Soviétique, naguère le premier et le plus puissant Etat socialiste dans le monde. (…)

En d’autres termes, dans le domaine idéologique, le révisionnisme est le produit de l’appréciation subjective des changements qui interviennent dans la réalité, du traitement subjectif des principes fondamentaux et des lois générales du marxisme-léninisme, du reniement subjectif de la dialectique matérialiste et des conclusions révolutionnaires.

  1. Le révisionnisme actuel se distingue aussi de l’ancien par sa base socio-économique (…). Dans les pays capitalistes, aux côtés de l’aristocratie ouvrière, la bureaucratie ouvrière, qui, dans les conditions actuelles a considérablement grandi, est devenue, elle aussi, une base pour le révisionnisme. » (90)

  • D’autre part, le parti du travail d’Albanie et le parti communiste chinois, ainsi que d’autres partis marxistes-léninistes, mènent une lutte acharnée à l’intérieur et à l’extérieur contre la ligne bourgeoise sous toutes ses formes. Aussi, la pensée de Mao Tsétoung présente la sauvegarde et l’enrichissement le plus essentiel du marxisme-léninisme face à la bourgeoisie impérialiste déclarée et à la bourgeoisie masquée que sont les révisionnistes modernes. L’un des enseignements essentiels de notre époque est que le prolétariat révolutionnaire doit mener une lutte acharnée contre l’ennemi mortel qu’est le révisionnisme moderne.

Pour bien traiter le problème du concept de pouvoir politique chez Lénine, il faut tracer une ligne de démarcation bien nette entre le marxisme-léninisme et les révisionnistes de toute farine ; ces derniers ont édulcoré le marxisme-léninisme, l’ont vidé de sa substance, et lui ont substitué son contraire, l’idéologie bourgeoise : ils cherchent à se faire passer pour d’authentiques marxistes aux yeux de tout le monde à l’aide d’une phraséologie soi-disant « marxiste », et par là ils cherchent à masquer le fait qu’ils soient entièrement gagnés à la défense des intérêts de la bourgeoisie.

Donc pour bien traiter le problème du pouvoir politique chez Lénine, sans dénaturer le marxisme-léninisme, mais en lui restant fidèle, il convient de partir du point de vue de prolétariat révolutionnaire, et de la situation concrète en France.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 17)

CHAPITRE I

 

 

 

CLASSES, CONTRADICTIONS DE CLASSES, LUTTES DE CLASSES

 

 

 

 

« Toutes les doctrines sur le socialisme hors classes et la politique hors classes se révèlent un vain bavardage. » Lénine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le marxisme léninisme est la science des lois de l’évolution sociale, de la révolution socialiste et de la dictature du prolétariat, la science de l’édification de la société socialiste et communiste. Le marxisme a le premier appliqué l’enseignement que comporte l’étude de l’histoire universelle, la doctrine de la lutte de classe :

« Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïves des autres et d’eux-mêmes, tant qu’ils n’auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations et les promesses morales, religieuses, politiques et sociales, à discerner les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans des réformes et améliorations seront dupés par les défenseurs du vieux régime aussi longtemps qu’ils n’auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et pourrie qu’elle paraisse, est soutenue par les forces de telles ou telles classes dominantes. Et pour briser la résistance de ces classes, il n’y a qu’un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent – et doivent de par leur situation sociale – devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau. » (91)

La question de la lutte des classes est donc l’une des questions essentielles du marxisme : la théorie de la lutte de classe est le fil conducteur qui permet de saisir sous le chaos apparent de la réalité historique l’existence des lois de l’évolution des sociétés. Aussi convient-il d’abord de voir quelle est la conception marxiste de la lutte de classe.

 

    1. LES CLASSES SOCIALES

 

L’application conséquente du matérialisme dialectique à l’étude des sociétés permet l’étude scientifique de l’histoire dans toute sa diversité et avec toutes ses contradictions.

Dans toute société, les aspirations de ses membres se heurtent à celles des autres, la vie sociale est pleine de contradictions. L’histoire nous montre la lutte entre les peuples et les sociétés, ainsi que dans leur propre sein ; elle nous montre, en outre, une succession de périodes de révolution et de réaction, de paix et de guerre, de stagnation et de progrès rapide ou de décadence. Ces tendances contradictoires proviennent de l’existence des classes sociales. Qu’entend Lénine par classe sociale ?

« Seule l’étude de l’ensemble des tendances de tous les membres d’une société ou d’un groupe de sociétés permet de définir avec une précision scientifique le résultat de ces tendances. Or, les aspirations contradictoires naissent de la différence de situation et de conditions de vie des classes en lesquelles se décompose toute société. » (92)

« Par classe sociale on entend un ensemble de gens qui, dans la production jouent un rôle similaire, sont à l’égard des autres hommes dans des rapports identiques. »

Afin d’approfondir la définition donnée par Lénine, illustrons-là à l’aide de deux exemples :

  • L’analyse de la classe ouvrière ou prolétariat et de la classe de la bourgeoisie ou « bourgeoisie capitaliste » dans la société capitaliste.

  • L’analyse des classes sociales en France à notre époque.

 

PREMIER EXEMPLE :

 

Dans la société capitaliste l’ensemble des ouvriers a un « rôle similaire » de l’un à l’autre et sont « dans des rapports identiques » à l’égard des patrons ; inversement, l’ensemble des patrons a un « rôle similaire » de l’un à l’autre, et sont « dans des rapports identiques » à l’égard des ouvriers.

« Le capital suppose le travail salarié, le travail salarié suppose le capital ; ils sont les conditions l’une de l’autre et se produisent réciproquement. » (93).

Les ouvriers produisent des marchandises : c’est là leur « rôle similaire » de l’un à l’autre ; les patrons réalisent des profits en confisquant la valeur du surtravail des ouvriers : en deux ou trois heures l’ouvrier produit des richesses égales à son salaire de la journée, les six autres heures, il produit du profit pour le capital. Les patrons s’approprient le surtravail : c’est là leur « rôle similaire » quelle que soit la nature de la marchandise, industrielle ou agricole.

« (…) L’appropriation de travail non payé est la forme fondamentale du mode de production capitaliste et de l’exploitation de l’ouvrier qui en résulte ; de même lorsque le capitaliste achète la force de travail de son ouvrier à la pleine valeur qu’elle a sur le marché en tant que marchandise, il en tire pourtant plus de valeur qu’il n’en a payé pour elle ; et que cette plus-value constitue en dernière analyse, la somme de valeur d’où provient la masse de capital sans cesse croissante accumulée entre les mains des classes possédantes. » (94).

Pour survivre, les ouvriers vendent leur force de travail aux patrons, propriétaires des moyens de production (usines, machines, terre). Ainsi les ouvriers se trouvent « dans des rapports identiques » avec les patrons, des rapports d’exploités à exploiteurs. Inversement, les patrons achètent la force de travail des ouvriers devenue marchandise. Donc les patrons se trouvent « dans des rapports identiques » avec les ouvriers, des rapports d’exploiteurs à exploités.

« Le procès de production capitaliste reproduit de lui-même la séparation entre travailleur et conditions du travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l’ouvrier à se vendre pour vivre, et mettent le capitaliste en état de l’acheter pour s’enrichir. » (95)

Les ouvriers constituent une classe sociale la classe ouvrière ou prolétariat (industriel ou agricole). Les patrons constituent également une classe sociale, la classe de la bourgeoisie, appelée aussi « grande bourgeoisie » ou « bourgeoisie capitaliste » (pour éviter toute confusion avec d’autres classes et couches sociales intermédiaires.)

Dans la société capitaliste, la contradiction fondamentale est la contradiction entre les intérêts de la classe bourgeoise et les intérêts de la classe du prolétariat. Le socialisme est le produit nécessaire de la lutte des deux forces en contradiction :

« Par son contenu, le socialisme est, avant tout, le produit de la prise de conscience, d’une part, des oppositions de classes qui règnent dans la société moderne entre possédants et non possédants, salariés et bourgeois, d’autre part, de l’anarchie qui règne dans la production. » (96)

Nous avons déterminé les deux classes antagoniques de la société capitaliste (classe ouvrière et classe de la bourgeoisie) d’après leur place respective dans le procès de production, c’est-à-dire dans la sphère économique. Mais il convient d’apporter deux précisions.

 

Le matérialisme historique considère que la structure économique d’une société constitue à chaque période historique la base réelle qui lui permet, en dernière analyse, d’expliquer toute la superstructure des institutions juridiques et politiques, aussi bien que des idées religieuses, philosophiques et autres de chaque période historique.

Cependant, s’il y a action de l’infrastructure (l’économique) sur la superstructure (le politique et l’idéologie), il y a en contrepartie effet (réaction) de la superstructure sur l’infrastructure. Et si l’infrastructure joue le rôle déterminant dans un mode de production et dans une formation sociale, le rôle dominant peut être joué soit par l’infrastructure, soit par la superstructure.

Par exemple le politique joue le rôle dominant dans l’empire romain et les idées religieuses au moyen âge ; c’est l’économique qui joue un rôle dominant dans la société capitaliste de libre concurrence : ici, l’intervention de l’Etat, le politique et l’idéologie jouent un rôle secondaire. Ceci signifie que la superstructure peut à certaines périodes historiques jouer le rôle principal :

« Certes, les forces productives, la pratique et la base économique jouent en général le rôle principal, décisif, et quiconque le nie n’est pas un matérialiste ; mais il faut reconnaître que dans des conditions déterminées, les rapports de production, la théorie et la superstructure peuvent, à leur tour, jouer le rôle principal, décisif. Lorsque, faute de modification dans les rapports de production, les forces productives ne peuvent ^plus se développer, la modification des rapports de production joue le rôle principal, décisif…Lorsque la superstructure (politique, culture, etc.), entrave le développement de la base économique, les transformations politiques et culturelles deviennent la chose principale, décisive. » (97)

Ainsi, la classe sociale peut être déterminée principalement, mais pas exclusivement, par sa place dans le procès de production, c’est-à-dire dans la sphère économique. Car il ne faut pas déduire du rôle principal de l’économique en général que ce critère soit suffisant pour la détermination d’une classe sociale. Déterminer une classe sociale uniquement par sa place dans la sphère économique n’est qu’une partie de la vérité. La détermination de la nature intégrale de la clase sociale doit tenir compte du rôle du politique et de l’idéologie, ainsi que du type de rapport qu’entretiennent la superstructure (politique, culture, etc.) et l’infrastructure (la base économique) car :

« Le capital ce n’est pas une somme d’argent, ce sont des rapports sociaux déterminés. » (98)

 

Une seconde précision à apporter est le fait que la place des différentes classes sociales peut être « fixée et consacrée » par les lois, mais il ne s’agit là que d’une possibilité. S’il existe un « rapport juridique » aux moyens de production, celui-ci n’entre pas dans la définition même des classes sociales : ainsi par exemple, le droit bourgeois fixe, consacre, légalise et défend le fait de la propriété privée des moyens de production, mais ce droit dérive de l’état de fait.

« L’idée que les idées et représentations des hommes créeraient leurs conditions de vie et non inversement, est démentie par toute l’histoire passée, dans laquelle on a constamment abouti à autre chose que ce qu’on voulait, et même la plupart du temps dans la suite du développement, on a abouti au contraire. (…) Cela est valable aussi pour les idées juridiques, donc pour la politique. » (99)

Ainsi par exemple, la propriété collective des moyens de production dans le communisme primitif devient la propriété privée des moyens de production dans la société de classes ; le marxisme montre que la propriété privée des moyens de production doit se transformer de façon inéluctable en la propriété collective et sociale des moyens de production au stade communiste. Ce développement est une loi de l’histoire, et il est indépendant de la volonté des hommes.

Il est donc complètement faux de vouloir réduire les rapports de production à de simples rapports juridiques. On ne peut instaurer de nouveaux rapports sociaux par des lois, tout comme il est vain de vouloir introduire un nouveau mode de production (« socialiste » ou autre) par un plan ou par un décret.

 

Lénine donne une définition des classes sociales qui prend en considération ces deux précisions apportées à la première définition :

« On appelle classes de vastes groupes d’hommes qui se distinguent par la place qu’ils occupent dans un système historiquement défini de production sociale, par leur rapport (la plupart du temps fixé et consacré par les lois) vis-à-vis des moyens de production, par leur rôle dans l’organisation sociale du travail donc, par les modes d’obtention et l’importance des richesses sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d’hommes dont l’un peut s’approprier le travail de l’autre, à cause de la place différente qu’il occupe dans une structure déterminée, l’économie sociale. » (100)

 

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2 mars 2023 4 02 /03 /mars /2023 11:13

Liberté, égalité, fraternité (Partie 14)

 

 

CHAPITRE V

 

 

 

« LITTERATURE SOCIALISTE ET COMMUNISTE »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce troisième chapitre du Manifeste a pour objectif de situer le projet de Marx et Engels par rapport à tous ceux qui se réclament des idées communistes ou socialistes. L’intérêt de ce chapitre demeure purement historique car évidemment la chronologie s’arrête en 1847.

Toutes sortes de personnes et de publications se réclament de l’idéologie « socialiste » ou « communiste » : que faut-il en penser ?

En somme, le fait que chacun se donne le titre de « socialiste » signifie que c’est là une doctrine d’avenir, et que le mouvement ouvrier porteur de celle-ci constitue une force montante. Au XIX° siècle, les principales classes sociales sont : la bourgeoisie, le prolétariat, la petite bourgeoisie et l’aristocratie. Que sont les différentes doctrines socialistes ? Lorsque l’aristocratie se réclame du socialisme, cela donne le socialisme féodal, qui est une critique de la domination bourgeoise, qui vise non à l’instauration d’une société socialiste, mais un retour à l’ancien régime. Le socialisme petit bourgeois reflète également les intérêts de la petite bourgeoisie : son idéal est une société de la petite production. Les bourgeois se réclamant du socialisme veulent empêcher l’instauration d’un socialisme réel et la révolution prolétarienne : en général, ce sont des réformistes. Enfin, dans son enfance, le prolétariat développe un socialisme utopique, imaginaire, instinctif, qui est abandonné au profit du socialisme scientifique quand le prolétariat accède à l’âge adulte.

 

  1. Le socialisme réactionnaire :

Dans la société du milieu du XIX° siècle, des individus, eux-mêmes étrangers à la classe ouvrière et aux intérêts de celle-ci, se réclament du socialisme. Quels buts poursuivent-ils en réalité ?

Depuis un certain temps déjà – 1789 en France – la bourgeoisie est la classe maîtresse de la société. Elle possède l’essentiel des moyens de production importants, et exploite les travailleurs, ainsi que les autres classes sociales (paysans, artisans, classes moyennes).L’ancienne classe dominante (la noblesse, les féodaux) aspire à retrouver ses anciens privilèges. Mais c’est une classe dépossédée du pouvoir politique, qui ne détient aucune puissance économique réelle dans la nouvelle organisation sociale. Aussi, pour parvenir à ses fins, elle a tendance à rechercher l’appui de la classe ouvrière (et même à mettre celle-ci sous sa direction) encore peu développée, peu consciente de ses propres intérêts de classe, ceci afin d’arracher des acquis à la bourgeoisie. Les féodaux désirent un retour en arrière, au temps béni de leurs privilèges : leur ennemi, c’est la bourgeoisie. La bourgeoisie a un autre ennemi, en plein essor, c’est le prolétariat. Or, comme les ennemis de mes ennemis sont mes amis, les féodaux recherchent des alliés du côté du prolétariat, en vue de la Restauration de l’ancien régime. Aussi, ils font semblant d’oublier leurs propres intérêts et se présentent comme le porte-parole des intérêts des classes laborieuses.

Les féodaux font alors, sous le nom de « socialisme », une critique, parfois pertinente du capitalisme, mais cette critique ne vise pas à supprimer le capitalisme pour le remplacer par une société supérieure, le communisme, mais bien à faire revenir l’histoire en arrière, à réinstaurer le féodalisme. Ils manquent tout à fait du sens de l’histoire et ne se rendent pas compte que c’est justement le féodalisme qui a créé les conditions permettant la naissance et l’essor du capitalisme, de la bourgeoisie et du prolétariat. Ils oublient que, étant donné le développement économique et social, ce retour au féodalisme est tout à fait impossible, et quand enfin ils réalisent cela, bien vite, ils s’intègrent dans la nouvelle société, deviennent de bons bourgeois, et des ennemis du prolétariat révolutionnaire.

En prétextant des nombreux méfaits du capitalisme, les féodaux veulent un retour en arrière, alors que le capitalisme constitue un immense progrès par rapport au système féodal à tous les niveaux. Les féodaux de cet acabit ressemblent beaucoup aux idéologues bourgeois actuels qui, prétextant les erreurs commises dans les pays socialistes ou les retours en arrière (restauration du capitalisme dans les pays de l’ex- URSS, sous la forme d’un capitalisme monopoliste bureaucratique), affirment que le système capitaliste vaut mieux que le socialisme.

Ainsi, dans les sociétés française et anglaise du début du XIX° siècle existent, à côté du prolétariat et de la bourgeoisie, d’autres classes sociales, en particulier les restes de la noblesse ; celle-ci aspire à revenir à l’ancien régime, mais ne disposant d’aucune force matérielle, elle se tourne vers le prolétariat, et emploie un langage trompeur, « socialiste ». C’est le cas du littérateur Lamennais (80).

Entre la bourgeoisie et le prolétariat existe également la petite bourgeoisie (petits paysans, artisans), classes et couches intermédiaires dont sont issus les bourgeois et les prolétaires, classes et couches sociales instables, condamnées à disparaître à plus ou moins longue échéance, destinées soit à l’embourgeoisement, soit à la prolétarisation, du fait de la concurrence. Mais si ces classes moyennes ne représentent pas l’avenir, par contre, présentement, à l’heure à laquelle écrivent Marx et Engels, elles représentent encore une masse importante de la société, en particulier en France (plus de la moitié de la population totale). Aussi il est évident que les manières de voir de cette catégorie sociale influent sur les penseurs socialistes, tel que Sismondi (81).

Le socialisme petit bourgeois présente une critique de la société bourgeoise, qui met en lumière les contradictions dont souffre le système capitaliste : c’est l’aspect négatif, destructeur de la doctrine. Par contre, l’aspect positif, constructeur de la doctrine du socialisme petit bourgeois est réactionnaire : le petit bourgeois voit le monde à sa manière. Pour lui, l’idéal social, c’est une société où règne la petite propriété : chacun est propriétaire de sa terre, de sa maison, de sa boutique. C’est un monde de petits producteurs. Ce que veulent concrètement les petits bourgeois, c’est un retour en arrière, à l’étape « idyllique » du moyen âge. Leur plan de société est utopique. Par rapport à cette conception, la société bourgeoise telle qu’elle existe, centralisant les moyens de production, constitue un progrès. En somme, les petits bourgeois développent une conception du monde qui correspond à leurs conditions d’existence. Mais sans cesse ces conditions d’existence sont remises en cause par la société bourgeoise et par le développement historique. Aussi, cette conception du monde, limitée et étroite, ne correspond pas au sens de l’histoire.

A côté du socialisme féodal et du socialisme petit bourgeois, il existe une troisième forme de socialisme réactionnaire : le socialisme allemand ou socialisme « vrai ». De quoi s’agit-il ?

A la fin du XVIII° siècle et au début du XIX° siècle, les conditions économiques et sociales de la France étaient en avance sur celles de l’Allemagne. En France la bourgeoisie avait détruit de fond en comble l’ancien régime et s’était emparée du pouvoir politique en 1789 ; le prolétariat s’organisait peu ou prou et paraissait déjà une littérature socialiste et communiste importante (Babeuf (82), Saint-Simon (83), Fourier (20), etc.).

De l’autre côté du Rhin, en Allemagne, la bourgeoisie commençait à peine sa lutte antiféodale pour une nation et pour la démocratie bourgeoise. Aussi, quand les intellectuels allemands disposèrent des concepts nés en France, ils ne purent en saisir avec précision le sens, et il y eut de nombreuses confusions, car la réalité économique et sociale que sous-tendaient ces concepts, était absente en Allemagne. Bientôt ce « socialisme » tout théorique, importé de France, devient une arme aux mains des gouvernants féodaux, pour s’opposer à la montée au pouvoir de la bourgeoisie : ce « socialisme » allemand devint un frein au progrès, utilisé pour empêcher la révolution bourgeoise en Allemagne. Si les théories socialistes, en France, prétendaient représenter les intérêts du prolétariat, et constituaient une critique de la société bourgeoise existante, en vue d’instaurer une société nouvelle, ces mêmes théories, « appliquées » à l’analyse de la situation en Allemagne, formaient une arme aux mains du gouvernement féodal, contre la montée de la bourgeoisie : on applique des phrases prises en France de façon stéréotypée, à des conditions différentes. En fin de compte, le socialisme « vrai » ou allemand représentait les intérêts de la petite bourgeoisie, qui était condamnée à disparaître par l’évolution historique, et qui voulait préserver son existence à tout prix, en maintenant le statut quo.

Les tenants de ce socialisme « vrai » ressemblent par certains points, à ces idéologues de la bourgeoisie d’aujourd’hui qui, se basant sur les critiques émises contre les régimes pseudo socialistes, comme ceux de l’ex-URSS, prétendent que le capitalisme vaut mieux que ce « socialisme » là ! En réalité, ces idéologues veulent préserver le capitalisme et empêcher le déroulement de l’histoire, qui va vers l’instauration universelle du socialisme.

 

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 15)

 

 

  1. Le socialisme conservateur ou bourgeois :

Le capitalisme présente de nombreux défauts, des contradictions internes, et une fraction éclairée de la bourgeoisie en est consciente : aussi cette fraction cherche-t-elle à apporter des remèdes à ces défauts, à amoindrir ces contradictions. Le but de ces bourgeois est d’aménager le capitalisme, en vue de le renforcer, et non de le détruire. Leur désir est de débarrasser la société de la lutte des classes, afin d’avoir un capitalisme avec des bourgeois et sans prolétaires, ce qui est impossible, car : « La bourgeoisie comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. » (84).

Ce socialisme bourgeois vise à maintenir et à renforcer ce qui existe, à empêcher la révolution prolétarienne, et l’un des moyens utilisés est de cantonner les luttes ouvrières dans le domaine économique, dans la vie matérielle. Le but est de « diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et simplifier le budget de l’Etat. » (85).

 

  1. Le socialisme et le communisme critico-utopiques :

Ces doctrines correspondent à l’expression première des instincts du prolétariat, encore à l’état embryonnaire et non encore constitué en classe sociale et en partis politiques.

Lorsque apparaissent ces écrits, les conditions matérielles de l’émancipation du prolétariat sont absentes, et quand ces conditions apparaissent, ces doctrines deviennent rétrogrades, réactionnaires, et se caractérisent par l’ « ascétisme universel » et par « un égalitarisme grossier ».Certains de ces auteurs, comme Saint-Simon (83), Fourier (20), Owen (17) voient la lutte de classe, mais manquent de confiance dans le prolétariat.

Pour changer la réalité sociale, ils rédigent un plan de la Cité idéale, et l’adressent aux dirigeants de la société. Ils réalisent aussi parfois des micros expériences

. C’est pourquoi ce sont des utopistes, car ils ne cherchent pas dans la réalité elle-même les forces et les moyens permettant de la transformer.

 

  1. Les communistes :

A l’égard des différents partis de l’opposition réelle au capitalisme, ou des partis qui se présentent comme opposant, les communistes exercent une analyse de classe, et une analyse de la situation concrète. Chaque parti représente les intérêts d’une classe ou de couches sociales. Et les communismes adaptent leur tactique à l’égard des partis d’opposition en tenant compte de la réalité de chaque pays, selon l’étape dans laquelle se trouve ce pays : par exemple, en Allemagne, ce qui est à l’ordre du jour en 1847, c’est la révolution bourgeoise, contre le féodalisme, et les communistes n’hésitent pas à soutenir la bourgeoisie, chaque fois que celle-ci fait progresser cet objectif. Mais en même temps, le parti communiste conserve son autonomie : il développe en direction des ouvriers un travail autonome, les organise, les rend conscient de la contradiction antagonique entre bourgeoisie et prolétariat en vue de préparer l’étape ultérieure, la révolution prolétarienne. Les communistes « combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière ; mais dans le mouvement présent, ils défendent et représentent en même temps l’avenir du mouvement. » (86). C’est une leçon contre le sectarisme :

    • Les communistes soutiennent tout ce qui va contre la bourgeoisie, tout ce qui va vers la destruction du capitalisme ;

    • La question fondamentale du mouvement, c’est la question de la propriété ;

    • Les communistes sont internationalistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE VI

 

 

 

EN GUISE DE CONCLUSION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Manifeste du parti communiste nous interpelle par son extraordinaire actualité. Sans doute, depuis 1847, le monde a changé, et bien changé ! Mais le capitalisme est toujours présent : il s’est même renforcé et étendu au monde entier.

Aujourd’hui un grand nombre de spécialistes et d’experts en tout genre tentent de démontrer que la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était, qu’elle a peut-être même disparue, engloutie sous l’amas des richesses produites, et donc Marx et Engels se seraient trompés dans leur analyse. Mais n’avaient-ils pas constaté que le capitalisme permettait un développement des richesses comme aucun mode de production comme auparavant ?

Les idéologues de la bourgeoisie affirment que les conditions sociales d’aujourd’hui diffèrent de celles qui existaient en 1789 en France, en 1917 en Russie et en 1949 en Chine, et ils en concluent péremptoirement que l’époque des révolutions est à jamais révolue, et en particulier, que la révolution prolétarienne n’est plus à l’ordre du jour.

La réalité s’est transformée depuis : c’est là une constatation banale. Mais la conclusion que nous tirons de notre expérience sociale est radicalement inverse : l’exploitation de l’homme par l’homme existe toujours, et s’est même amplifiée sous de nouvelles formes. Aussi, c’est la révolution prolétarienne qu’il convient de préparer activement, dans les conditions françaises du début du XXI° siècle, et c’est cela qui donne un sens à la vie d’un communiste d’aujourd’hui.

Sans doute, le capitalisme a apporté un semblant de richesses matérielles, encore faut-il constater que ce n’est qu’une infime partie de la population, située surtout dans les pays développés et impérialistes, qui profitent de ces privilèges ! La répartition des biens est par trop inégale, et cette inégalité est ressentie de façon tout à fait injuste. Si, dans certaines régions capitalistes du monde on ne meurt plus de faim, il n’empêche que s’y développe en même temps que la richesse, une exploitation accrue des ouvriers, paysans et employés, sous des formes insidieuses, d’autant plus cruellement ressentie à l’époque des crises cycliques qui frappent tout le système, comme celle qui a commencé en 1974 et dure encore. Et quelle est la pire des misères, si ce n’est celle d’être privé d’emploi, mis au chômage, au milieu de l’amoncellement d’objets de consommation, de se sentir inutile socialement, de trop, et dans l’impossibilité d’accéder à une société où règne la consommation à tout prix, chaque individu pouvant potentiellement être victime de cette « maladie » de la croissance.

Et encore, à quel prix, certains pays connaissent-ils une abondance tout à fait relative ? C’est au prix d’une exploitation effrénée de régions entières du globe : si dans les pays riches, capitalistes ou dits socialistes, on peut voir les ventres ballottés des bourgeois bien pendants et des aristocrates ouvriers gonflés par le trop plein de bouffe, c’est parce que dans les pays pauvres et colonisés, des millions d’enfants ont le ventre gonflé par le manque de nourriture et meurent de faim. Si les uns engrossent, se gavent de viande plusieurs fois par jour, alimentent le bétail à l’aide de kilos de céréales, et meurent d’obésité, c’est parce qu’à l’autre bout de la chaîne alimentaire, des millions d’habitants de la planète manquent cruellement de ces mêmes céréales.

Plus qu’au XIX° siècle, la rapine impérialiste de zones entières est organisée rationnellement, avec la bénédiction de tous les profiteurs bourgeois, au nom de la « civilisation », de la « liberté », ou du pseudo-« socialisme ». Pour préserver leurs intérêts, et réaliser un nouveau partage des sphères d’influence correspondant aux nouveaux rapports de force, les bourgeoisies mondiales, dans les pays développés surtout, ont déclenché deux guerres mondiales au XX° siècle. Depuis 1945, le monde n’a jamais connu un seul jour de tranquillité et de paix : toujours quelque part, le canon a tonné, dans des guerres locales, comme en Corée et au Vietnam.

Aussi, depuis 1847, rien n’est réglé. Les principales thèses du Manifeste du parti communiste demeurent à l’ordre du jour. Le capitalisme est toujours là : il a atteint son apogée, puis le stade pourrissant. Seule la révolution prolétarienne pourra régler les contradictions insolubles dans le cadre du capitalisme. Le monde est gros d’une nouvelle étape, le communisme, qui le débarrassera à jamais de l’exploitation de l’homme par l’homme, et les bâtisseurs de ce nouveau monde sous un nouveau ciel seront les exploités des pays pauvres du tiers monde et des pays riches.

Mais certains nouveaux philosophes, voulant discréditer le communisme, affirment que le remède est pire que le mal. Selon eux, l’application du marxisme mène au despotisme à l’intérieur d’un pays et à l’impérialisme à l’extérieur. Ils s’appuient sur l’exemple du devenir de l’ex-URSS. Effectivement, les Russes ont réalisé la révolution prolétarienne d’Octobre 1917, et leur pays s’est transformé aujourd’hui en un pays capitaliste et impérialiste.

Que vaut la démonstration ?

Les cris hystériques de ces nouveaux penseurs de la bourgeoisie ressemblent à s’y méprendre aux criailleries des émigrés de la noblesse française, qui, après 1789, pestaient contre la violence révolutionnaire du tiers-état, et contre la dictature qu’exerçait la bourgeoisie sur l’ensemble de la société. Le couronnement de Napoléon I°, la restauration de Louis XVIII, sont-ce là des arguments contre la révolution française de 1789 ? Les principes de 1789 renfermaient-ils en eux-mêmes la restauration de la monarchie comme une conséquence inéluctable ? La restauration permet-elle d’affirmer que la réalisation de la révolution bourgeoise de 1789 était inutile ? Bien sûr que non, ou c’est ne rien comprendre à l’histoire : la révolution française était indispensable.

Puis il y eut un rapport de force, national et mondial, momentanément défavorable à la bourgeoisie, qui l’a obligée à un repli ; mais la conception bourgeoise du monde n’a jamais cessé de progresser au cours du XIX° siècle. Qu’en reste-il des criailleries impuissantes de la noblesse, un siècle après 1789 ? N’est-ce pas les idées de 1789 qui ont finalement triomphé, et la noblesse n’est-elle pas rayée de la surface de la France ?

Ainsi, au niveau de l’histoire, le temps a une autre dimension qu’au niveau de la vie individuelle. Le « retour en arrière » de l’ex-URSS, vers une forme de barbarie souvent pire que ce qu’offre le capitalisme classique, est un phénomène sans doute inévitable, dont les causes, nationales et internationales, restent à analyser, mais un phénomène passager : il n’empêche que les idées des bolchevicks de 1917 demeurent valables universellement et représentent l’avenir du monde.

Ce qui est plus à craindre, c’est que la révolution prolétarienne, que nous appelons de tous nos vœux, tarde trop. On raconte que, lors de la Terreur, Babeuf fut effrayé par la violence révolutionnaire en voyant les nobles têtes accrochées aux piques populaires : cette violence était au moins aussi grande que la sauvagerie exercée pendant des années par les classes exploiteuses à l’encontre du peuple, et qui n’avait jamais pu s’extérioriser.

Biens nantis, vous pouvez avec raison craindre la haine emmagasinée par les affamés et les opprimés ! Elle court, elle court, la violence cachée, et rien, ni vos prisons, ni vos frontières, ni vos camps de concentration, ni vos hôpitaux psychiatriques ne pourront l’empêcher de s’exprimer. Elle est suspendue au-dessus de votre société d’exploiteurs et d’oppresseurs, telle une épée de Damoclès, prête à la faire voler en éclat, et ceci avec d’autant plus de vigueur que vous aurez contenu longtemps cette violence.

 

 

 

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1 mars 2023 3 01 /03 /mars /2023 08:24

Liberté, égalité, fraternité (Partie 12)

 

CHAPITRE IV

 

 

 

« PROLETAIRES ET COMMUNISTES »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle est la structure d’une classe sociale ? Une classe sociale est un ensemble d’individus répartis en trois parties :

 

 

 

  • L’avant-garde ;

  • Le centre ;

  • L’arrière-garde (63).

 

De même, dans le prolétariat, on trouve une avant-garde, la masse et le lumpenprolétariat (64). L’avant-garde constitue l’ensemble des partis politiques ouvriers, et en particulier les communistes. Quel est le rapport entre les communistes et la clase prolétarienne ? Les communistes constituent-ils un nouveau parti accolé à l’ensemble des autres partis ouvriers ? Non. Le parti communiste n’est pas un nouveau parti qui s’ajoute aux autres : c’est l’état-major (65) du prolétariat. La classe ouvrière est divisée, et face à la bourgeoisie, il lui faut l’unité, en particulier l’unité de vue : c’est là une des tâches des communistes.

La seule arme dont dispose le prolétariat pour s’emparer du pouvoir, c’est l’organisation. Il y a une différence d’avec la prise du pouvoir politique par la bourgeoisie : pour parvenir à cela, la bourgeoisie s’est emparée du pouvoir économique (du moins elle l’a créé en partie et l’a développé). Le prolétariat a une triple tâche : premièrement, la constitution des prolétaires en classe, de classe en soi, ils doivent devenir classe pour soi. Deuxièmement, la révolution prolétarienne. Troisièmement, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, la dictature du prolétariat (66).

La différence, du point de vue théorique, entre communistes et utopistes, est que les premiers se fondent sur le matérialisme, les seconds sur l’idéalisme (67). Les utopistes élaborent dans leurs têtes, un modèle de société qu’ils cherchent ensuite à appliquer. Le programme des communistes (programme qui s’identifie avec les tâches historiques du prolétariat) repose sur la connaissance des lois de l’histoire.

 

QUEL EST LE PROGRAMME DES COMMUNISTES ?

 

  1. Le premier point de ce programme, c’est l’abolition de la propriété privée.

Il ne faut pas être abstrait et parler de la propriété en général. Si l’on traite le problème de l’abolition de la propriété, que peut-on en dire ?

L’abolition de la propriété privée n’est pas un fait nouveau dans l’histoire, car le régime de propriété a sans cesse évolué. Par exemple : la propriété, à l’origine, n’existait pas. Ou bien encore : la bourgeoisie a contribué à supprimer la propriété de type féodal en 1789, en France, pour implanter la propriété bourgeoise que nous connaissons encore à l’heure actuelle. Et que supprime le communisme ? C’est la propriété bourgeoise.

Dans notre société, qui repose sur les mêmes principes généraux qu’à l’époque de Marx et Engels, il existe deux types de propriété :

  • D’une part, la propriété personnellement acquise, fruit du travail de l’individu.

  • D’autre part, la propriété acquise par le vol d’autrui.

C’est la seconde forme qui caractérise le mieux le capitalisme : le bourgeois capitaliste vole la plus-value à l’ouvrier. Quant à l’idée que le travail génère la richesse, produit de la propriété, elle est de moins en moins vraie : la preuve c’est que la plus grande partie des travailleurs s’escriment toute leur vie, et sont parfois plus démunis à la fin qu’au début de leur existence (ils épuisent leur force physique ou intellectuelle à la reproduction et à l’accumulation du capital).

Qui vole la propriété ? Au cours du développement historique, les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. La propriété, base de la liberté et de toute activité, cette idée est vraie dans un système donné, dans certaines circonstances historiques, pas dans d’autres. Dans un système différent, il est possible de trouver (de créer) au travail humain d’autres motivations que la seule recherche et accumulation de propriété et de richesses : ces motivations peuvent être le service d’autrui, les réponses aux besoins sociaux. Ceci d’autant plus que le travail ouvrier, créateur de toutes les richesses, ne produit pas la propriété, mais enrichie le capitaliste non productif.

Sans cesse, dans le système capitaliste, la bourgeoisie accapare les biens des petits propriétaires (artisans et paysans) et des bourgeois les moins compétitifs : elle exproprie les richesses de ces couches sociales. C’est pourquoi la bourgeoisie – une extrême minorité – sera à son tour expropriée par l’immense majorité, ceci à l’issue du conflit aigu entre TRAVAIL et CAPITAL.

Il s’agit d’abolir une propriété bourgeoise qui n’existe que dans la mesure où les neuf dixièmes de la société sont expropriés. Un capitaliste peut être bon, philanthrope, humaniste. Mais il n’empêche que, de par sa nature, il exploite les ouvriers, sinon il nie sa propre nature – et se « suicide », disparaît en tant que capitaliste.

L’ensemble du capital social appartient presque exclusivement à la classe capitaliste : le lien juridique qui lie le capital à la bourgeoisie est fortement ancré dans toutes les consciences, et il est défendu dans la réalité, par l’Etat bourgeois (armée, police, justice, éducation). Mais en fait, l’exploitation de ce capital est mise en œuvre par tous les membres de la société. L’objectif de la révolution prolétarienne est de rétablir (d’établir pour la première fois dans l’histoire ?) cette réalité, de résoudre la contradiction : d’une part, le capital appartient en titre à une petite minorité, les capitalistes, d’autre part, le capital est exploité en fait par tous les membres de la société.

Les moyens de production appartiennent aujourd’hui à une classe privilégiée : après la révolution prolétarienne, ils appartiendront à la société. En fait, cette révolution prolétarienne n’exproprie personne, car c’est les travailleurs qui, par leur labeur depuis des générations, ont créé ces richesses et mille fois remboursé la valeur de celles-ci.

Les moyens de production seront donc collectivisés (c’est-à-dire rendus à la communauté) afin d’empêcher tout retour à l’exploitation de l’homme par l’homme par l’intermédiaire de ces moyens de production. Mais il n’en sera pas ainsi pour les biens de consommation, qui appartiendront aux travailleurs individuels : « Nous ne voulons absolument pas abolir cette appropriation personnelle des produits du travail, indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net conférant un pouvoir sur le travail d’autrui. » (68)

 

  1. Le second point du programme communiste, c’est l’abolition de la liberté bourgeoise.

Encore une fois, on ne peut parler de la liberté en général, en faisant abstraction des conditions concrètes, historiques, de la réalisation, de cette liberté. La liberté, comprise au sens bourgeois, constitue un progrès par rapport à ce que pouvait offrir le moyen âge. La liberté, au sens bourgeois, c’est la liberté d’entreprise, c’est-à-dire la liberté d’exploiter le travail des ouvriers. Cette liberté est réactionnaire par rapport à la liberté prolétarienne.

Marx et Engels parlent de la suppression de la personne bourgeoise. De quoi s’agit-il ? S’agit-il de la suppression physique et immédiate de tous les éléments d’une classe sociale ? Non bien sûr, c’est là une déformation dogmatique du marxisme. Il s’agit, en changeant la société, de supprimer le type humain, tel qu’il existe, sous sa forme bourgeoise. Les bourgeois concrets et vivants seront eux-mêmes rééduqués, c’est-à-dire qu’ils devront vivre de leur propre travail, et non plus de l’exploitation du travail d’autrui. Bien sûr, il faudra pendant un certain temps exercer sur cette classe (jusqu’à sa disparition en temps que classe) une dictature, afin de l’empêcher de rétablir son paradis perdu, et de faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Mais si, au cours du socialisme, on enlève à tous les individus faisant partie de la classe bourgeoise la possibilité de retrouver les anciens privilèges, par contre, ils bénéficient, comme tous les individus de la société, des mêmes droits (droit au travail en particulier, et possibilité de vivre des produits de leur travail, de consommer les produits obtenus grâce à ce travail, droit à la santé, etc.) : « Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation le travail d’autrui. » (69).

Un caractère commun entre la bourgeoisie et les classes exploitantes antérieures (maîtres d’esclaves, nobles) est qu’elle aussi s’imagine fermement que son système social et ses valeurs morales sont les seuls possibles et sont donc éternels : la bourgeoisie cherche à inculquer cette idée à tout le peuple afin de l’empêcher d’envisager toute transformation de la société.

 

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 13)

 

  1. Le troisième point du programme communiste est l’abolition de la famille.

Qu’est-ce que la famille ? Encore une fois, le débat est faussé et tronqué par l’idéologie bourgeoise qui, en particulier, s’acharne à dénaturer la position des communistes sur ce problème également. Il ne s’agit pas de supprimer la famille dans l’absolu. Ce qu’il faut abolir, c’est la famille bourgeoise qui est la cellule de base de la société capitaliste, sans préjuger de ce par quoi cette institution sera remplacée dans le communisme. La famille bourgeoise est à la fois une créature du système capitaliste, et elle contribue à reproduire les conditions d’existence de ce système : c’est pourquoi elle disparaîtra en même temps que ce système.

La famille n’est pas une entité abstraite et éternelle, mais c’est une création de l’histoire humaine.

La famille a une histoire : elle n’a pas toujours existé. Dans le communisme primitif, les rapports sexuels étaient épisodiques, il n’y avait pas de rapports permanents entre tel homme et telle femme. Tous les hommes aimaient toutes les femmes et réciproquement. Il y avait communauté des enfants, et la propriété de l’homme sur la femme et les enfants était absente.

Quand la famille est née, sa conception a varié d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Elle a varié aussi d’une clase sociale à l’autre. Ainsi, il y a une grande différence entre la famille féodale –telle qu’elle est critiquée par Molière dans ses pièces de théâtre – qui se caractérise par l’autorité absolue du père sur ses enfants et sa femme, le mariage arrangé par les parents, et la famille bourgeoise. La famille bourgeoise est née, s’est développée avec la classe bourgeoise, elle en porte les caractères, et elle disparaîtra avec la bourgeoisie.

Quelle est la base de la famille bourgeoise ? C’est l’argent.

Dans les sphères de la bourgeoisie, on marie deux comptes en banque. Les sentiments ont un caractère de classe et l’ « amour » pur, entre deux individus de classes différentes, entre le roi et la bergère, n’existe que dans les romans.

Pour le prolétariat, la famille existe à peine : après dix heures – et parfois plus – de travail par jour, la fatigue physique et psychologique se fait senti, et mine la vie de couple. Le mari et la femme ont à peine le temps de se connaître. Pour eux, les enfants sont comme des étrangers.

Quels rapports les membres d’une même famille prolétarienne entretiennent-ils entre eux ? Les enfants sont exploités par les patrons et par les parents et forcés de travailler à l’usine pour apporter un complément de salaire. De même, les femmes sont exploitées par les hommes : contraintes de travailler à la fabrique, elles doivent en plus fournir un travail domestique !

C’est dans la famille que se reproduisent d’abord les rapports de classe, qui sont intériorisés par chaque individu : le père représente l’aspect dominant exploiteur, la mère et les enfants, l’aspect dominé, exploité.

Quel sort est réservé à la femme ?

Dans le capitalisme coexistent deux types de prostituées, la prostituée de passage, que l’on paie, et l’épouse, prostituée permanente, entretenue.

Dans la société bourgeoise, il n’y a pas des rapports entre individus responsables, entre les hommes et les femmes, mais des rapports entre les choses : les individus sont traités comme des objets (c’est la réification) (70).Par exemple, les enfants sont traités comme des instruments de travail, de production de valeurs, permettant d’augmenter la plus-value, et les femmes comme des instruments de (re) production. Le capitalisme ne s’intéresse à l’individu que sous l’angle de la productivité, et nie purement et simplement toutes les autres facettes du caractère et de la personnalité : tout ce qui n’est pas monnayable n’existe pas. Les richesses sociales ne sont pas créées pour répondre aux besoins et aux plaisirs des membres de la société, mais inversement, les individus n’existent que pour produire ces biens et services au profit d’une minorité de privilégiés, qui n’existent que comme supports de la propriété privée. Les enfants ne sont que les moyens offerts par la nature pour transmettre cette propriété privée par l’héritage. Bien sûr, il convient de préciser que les communistes ne s’opposent pas, par principe, au travail manuel féminin, ou des enfants, en général, mais ils s’opposent au travail dans les conditions dans lesquelles il s’exerce dans le système capitaliste.

La communauté des femmes a toujours existé pour la bourgeoisie : celle-ci tient un double langage, distinguant d’une part, les femmes « dignes », d’un bon milieu, que l’on épouse, et d’autre part, les femmes « faciles », avec lesquelles on s’amuse et on « fait » l’amour, ce que permet l’argent (adultères avec les femmes mariées, les épouses des autres bourgeois, et avec les femmes et les filles des prolétaires) : ceci constitue la prostitution non officielle qui fait que, potentiellement, les corps de toutes les femmes appartiennent à la classe capitaliste dans son entier et pourront être « exploitées » et mis à profit par les bourgeois. A cela s’ajoute la prostitution officielle, déclarée, pure et simple. Ainsi, les discours lénifiants sur la famille, la sainteté du mariage, sur la chasteté et la virginité prénuptiale, ne sont que pure hypocrisie des clercs, chiens couchants du capital.

En fin de compte, quand on parle d’abolition de la famille, qu’est-ce qu’il s’agit de supprimer ?

C’est la valeur « famille bourgeoise » comme idéal ! Cet idéal est mis à mal, et même supprimé de fait par la bourgeoisie, pour la plus grande partie de la société. Cette « famille » n’existe pas pour le peuple, cet idéal est irréalisable pour lui étant donné ses conditions de vie matérielle et spirituelle. Dans le milieu bourgeois, il y a discordance totale entre le discours moralisateur sur la famille et la réalité vécue de celle-ci. Il s’agit donc de supprimer quelque chose qui n’a plus que l’existence d’un fantôme, d’une institution morte, mais qui néanmoins demeure un idéal envahissant.

L’éducation, dans le socialisme, ne se fera plus par la famille, mais par la société : on remplacera les conditionnements bourgeois par d’autres, plus en rapport avec la nature humaine contemporaine, et le niveau actuel des forces productives, et qui épanouiront plus l’individu. S’il est impossible de deviner ce que seront les structures de base de la société communiste, la famille sous sa forme socialiste continuera sans doute à subsister pendant une certaine période après le capitalisme, à côté d’autres expériences sexuelles, affectives, communautaires, entre individus.

 

  1. Le quatrième point du programme communiste, c’est l’abolition de la patrie et de la nationalité. ;

La nation est une création bourgeoise : les nations sont nées et se sont développées en même temps que la bourgeoisie. Les luttes entre les diverses nations sont souvent des luttes entre les bourgeoisies des divers pays, et les travailleurs n’y ont aucun intérêt : ils servent de chair à canon.

« Les ouvriers n’ont pas de patrie » (71) car l’exploitation est la même partout. L’objectif du prolétariat mondial est, à long terme, la suppression des frontières entre les différents pays. A court terme, l’objectif de chaque prolétariat est de lutter contre sa propre bourgeoisie, et en ce sens là, les ouvriers sont patriotes : ils doivent se débarrasser de leur bourgeoisie nationale, et combattre l’exploitation d’autres peuples par leur propre bourgeoisie : « Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolissez l’exploitation d’une nation par une autre. » (72).

Souvent les luttes nationales, les luttes d’une nation pour sa libération lorsqu’elle est occupée et opprimée par une nation plus forte, contribuent à l’avancée vers le socialisme.

 

  1. Le cinquième point du programme communiste est l’abolition des mœurs et des idées politiques, philosophiques et religieuses de la bourgeoisie.

Il s’agit d’une révolution culturelle accompagnant la révolution socialiste. C’est là une évidence : au cours de l’histoire humaine, les conditions matérielles n’ont cessé de se transformer, et il en est de même des conditions spirituelles. Ainsi que l’affirment Marx et Engels : « Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. » (73).

Qu’est-ce que cela signifie ?

Dans chaque formation sociale, les idées dominantes sont les idées du mode de production dominant. Par exemple dans le mode de production féodal, les idées dominantes sont les idées féodales (les idées exprimées par le système religieux et philosophique de Thomas d’Aquin (74) par exemple). La société est divisée en classes sociales. Chaque classe sociale a ses propres idées et sa propre « culture ». Ainsi, dans le mode de production féodal existent les idées féodales – dominantes – et également, entre autres, les idées bourgeoises et les idées des serfs. En général, les autres systèmes d’idées, les autres conceptions du monde, sont inféodés, critiqués, rejetés dans la clandestinité, les tenants de ces idées s’opposant aux points dominants sont persécutés.

Les idées se figent et deviennent des forces matérielles : elles peuvent soit défendre le passé (sous forme d’institutions surtout) soit annoncer l’avenir, préparer le terrain (sous forme d’idéologies surtout). Ainsi, au cours du moyen âge, les idées bourgeoises prennent de plus en plus de poids au fur et à mesure du développement économique de la bourgeoisie, et préparent activement dans les esprits le mouvement de 1789 et la construction d’une société nouvelle.

Les idées ne sont pas éternelles : elles varient, elles sont relatives à chaque système social. Il en est ainsi des idées de « propriété », de « liberté », de « famille », etc. La conscience sociale varie. Néanmoins il existe des formes générales (non éternelles) : ainsi, il y a une certaine « continuité », une ressemblance entre la famille esclavagiste, la famille féodale et la famille bourgeoise, et ce point commun, c’est que ces trois types de familles se situent dans une société de clases.

Mais il est certain que, du point de vue des idées aussi, l’objectif des communistes est de réaliser une rupture radicale avec la période bourgeoise, car le but final à atteindre est la suppression des classes sociales, et pour y parvenir, il est nécessaire d’utiliser la violence révolutionnaire ; ce dont il s’agit, ce n’est ni plus ni moins que « la violation despotique du droit de propriété du régime bourgeois de production. » (75). A un moment donné, quand les conditions objectives et subjectives du changement social sont mûres, l’usage de la violence est indispensable, car les anciennes classes dominantes refuseront toujours d’abandonner leurs privilèges sans combattre : c’est une lutte à mort, dont le résultat sera l’instauration d’une société sans classes sociales, au service de l’immense majorité.

« Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre. » (76).

Marx et Engels présentent dix mesures qui devraient permettre d’ « arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie » (77), principes généraux, valables universellement, mais dont l’application pratique peut varier selon les pays et qui concernent au premier chef les pays avancés d’Europe. Mais selon les aveux ultérieurs des auteurs eux-mêmes, il ne faut plus accorder trop d’importance à ce programme en dix points, valable surtout en 1848, si un parti ouvrier avait pu s’emparer du pouvoir politique dans un pays industrialisé.

Le premier point de ce programme concerne la terre, la propriété foncière. La terre serait nationalisée et attribuée à ceux qui la travaillent. Ceci permettrait d’écarter les exploiteurs et de développer une agriculture rationnelle et scientifique. La petite production (petits paysans) outre qu’elle engendre à tout moment le capitalisme, est profondément irrationnelle : elle freine le développement d’une agriculture moderne à tous les niveaux (dispersion de l’engrais, des machines, etc., et gaspillage).

Les points suivants combattent et visent à limiter les aspects rétrogrades du capitalisme, quant à l’impôt et à l’héritage. L’ensemble des moyens de production, le crédit, les moyens de transport seront centralisés dans les mains de l’Etat nouveau, et les biens des émigrés et rebelles seront confisqués : c’est là une réminiscence de la révolution française de 1789.

La planification (78) se substituera à l’anarchie de la production en système capitaliste : dans le capitalisme, la production est organisée au niveau de l’entreprise, mais non au niveau de toute la société, d’où des crises et des gaspillages. Dans la nouvelle société, chacun devra vivre de son propre travail, et non plus de l’exploitation du travail d’autrui, et il s’agira afin d’empêcher le retour de l’ancien état de chose, d’aller constamment vers la suppression des contradictions entre ville et campagne, travail intellectuel et travail manuel (79), par des mesures appropriées.

On peut constater que ce programme est effectivement limité, inconséquent, et ceci est dû à une lacune théorique : quand ils rédigeaient le Manifeste, Marx et Engels n’avaient pas encore une conception claire de l’Etat (est-il possible de s’emparer de l’Etat tel qu’il existe pour le faire fonctionner au profit de la majorité de la société, ou bien faut-il détruire l’Etat capitaliste et construire un Etat de type nouveau, prolétarien et socialiste ?).

Le simple fait de centraliser et de nationaliser les moyens de production ne débouche pas forcément sur un système socialiste : au contraire, cela peut déboucher sur un capitalisme d’Etat, c’est-à-dire l’ensemble d’une classe sociale (formée d’anciens ou de nouveaux bourgeois) peut être collectivement propriétaire de l’essentiel des moyens de production et les exploiter à son profit, sur le dos de l’ensemble des masses laborieuses. C’est pourquoi, ce qui est au cœur du problème, c’est de savoir qui (quelle classe sociale ?) détient réellement le pouvoir politique ? Est-ce la classe ouvrière ou la classe bourgeoise ? Dans le premier cas, c’est du socialisme, dans le second cas, même si les moyens de production n’appartiennent plus à des personnes privées, c’est encore du capitalisme. Evidemment, Marx et Engels ne pouvaient entrevoir cette conclusion, car ils ignoraient l’expérience concrète du capitalisme d’Etat, tel qu’il s’est manifesté notamment en Union Soviétique, après la mort de Staline en 1953.

 

 

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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 09:39

Liberté, égalité, fraternité (Partie 10)

 

 

  1. LA BOURGEOISIE

 

Les classes sociales d’un système donné forment un tout : on ne peut les séparer, les isoler. Il en est ainsi de la bourgeoisie et du prolétariat. Marx et Engels dissocient bourgeoisie et prolétariat pour les besoins de l’étude et de l’analyse. Ils s’interrogent : d’où vient la bourgeoisie, comment est-elle née ? Comment s’est-elle développée ? Quel est son avenir ?

Le capitalisme est né du sein du féodalisme ; par exemple, en France, il a surgi des luttes menées par le tiers-état (41) (le peuple), dirigé par la bourgeoisie montante, contre l’aristocratie, la noblesse et le clergé riche. Contrairement à ce que veut faire croire la bourgeoisie, parvenue au pouvoir, devenue la nouvelle classe dominante, le capitalisme n’a pas mis fin à la lutte des classes, à l’inégalité et à l’injustice. Les idéologues de la bourgeoisie répandent ces illusions : ils aimeraient bien faire croire cela au peuple afin de l’empêcher de s’émanciper complètement, afin qu’il se contente de réformes et renonce à poursuivre la lutte de classes jusqu’au bout, jusqu’au communisme. Comme chaque nouvelle société, le capitalisme n’a fait que remplacer les anciennes classes sociales par de nouvelles classes sociales, il a substitué aux anciens rapports de production de nouveaux rapports de production (42). En somme le capitalisme est la résolution de la contradiction inhérente au féodalisme, contradiction qui oppose les propriétaires fonciers, ou seigneurs, aux serfs : la solution, c’est la révolution bourgeoise. Le capitalisme fait apparaître une nouvelle contradiction entre bourgeoisie et prolétariat, dont la solution est la révolution prolétarienne.

Il y a de nombreux points communs entre les étapes de l’esclavagisme, du féodalisme et du capitalisme. Dans chacun de ces trois cas, il y a démocratie pour une minorité, pour les oppresseurs, et dictature (43) sur la majorité, sur le peuple des travailleurs.

Ainsi, dans la cité d’Athènes, au IV° siècle avant notre ère, la démocratie, (dite « démocratie esclavagiste ») existait pour une minorité d’individus de la société (pour les citoyens, hommes libres, qui décidaient des lois, votaient et avaient le droit d’être élus) et dictature sur la masse des esclaves, traités comme des objets, comme du bétail, qui n’ont aucun droit, sinon celui de se taire et de travailler. Et encore, au sein des citoyens, les droits étaient exercés différemment, selon qu’il s’agissait d’un propriétaire de terres disposant de 2 000 esclaves, ou d’un petit paysan, propriétaire d’un seul esclave, ou ne disposant que de sa famille ; dans le premier cas, le citoyen disposait de loisirs, pouvait acquérir une certaine culture, philosopher etc., ce qui était absent dans le second cas.

Il en est de même dans le féodalisme et le capitalisme. Dans la société capitaliste, seule une fraction de privilégiés peut profiter pleinement et user des droits démocratiques, qui sont hors d’atteinte de l’immense majorité du peuple. C’est la « démocratie bourgeoise ».

Dans l’étape du socialisme, qui est la transition (44) entre le capitalisme et le communisme, et le premier stade du communisme, il coexiste également encore la démocratie et la dictature. Mais la différence essentielle entre cette étape, le socialisme, et les trois périodes précédentes, l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme, c’est qu’alors la majorité domine la minorité : dans le socialisme, la démocratie existe effectivement pour la majorité du peuple, qui exerce une dictature sur la minorité des anciens exploiteurs et sur tous ceux qui rêvent d’un retour en arrière, vers le temps béni – pour eux – de l’exploitation de l’homme par l’homme.

La différence entre le communisme primitif et le communisme supérieur, est que le communisme primitif est caractérisé par la rareté, la pénurie ; il n’y a rien à partager et donc il n’y a pas d’inégalité sociale. Bien sûr, il existe néanmoins des inégalités naturelles, dues à l’âge, au sexe, à l’expérience plus ou moins grande, et à la loi du plus fort. Le communisme supérieur est caractérisé par l’abondance, l’absence de propriété individuelle : toutes les causes de lutte et d’exploitation de l’homme par l’homme sont éliminées. Dans le communisme supérieur, les besoins sont satisfaits, il n’existe plus d’inégalité sociale et on lutte contre l’inégalité naturelle.

« Notre époque, l’époque de la bourgeoisie » (45), c’est ainsi que Marx et Engels caractérisent l’époque nouvelle en Europe : la bourgeoisie est alors, en France, depuis 1789, la classe montante et dominante, malgré quelques tentatives de restauration de l’ancien régime féodal. Il en est de même dans d’autres pays européens, même si, comme en Angleterre, la forme d’accession de la bourgeoisie au pouvoir politique n’est pas la même. Dans ces pays il s’est constitué deux camps ennemis, basés sur deux classes irrémédiablement opposées et antagoniques : la bourgeoisie et le prolétariat.

En ce qui concerne les classes intermédiaires, elles sont condamnées par l’histoire à disparaître : les membres de ces classes parviendront soit à s’élever et à accéder à la classe supérieure, la bourgeoisie, soit tomberont dans la classe inférieure, le prolétariat. Il en est ainsi, par exemple, des paysans et des artisans. Aujourd’hui, les classes moyennes ont de plus en plus de difficultés à s’intégrer dans la classe bourgeoise. Le capitalisme monopoliste d’Etat s’est substitué au capitalisme libéral et concurrentiel (46). Aussi la tendance à la prolétarisation est presque la seule, l’unique voie, l’unique destin réservé aux classes moyennes.

 

Comment peut-on imaginer la naissance de la classe bourgeoise ?

Au moyen âge, la classe dominante comprend les « seigneurs », les propriétaires fonciers et le haut clergé. Du fait du développement des forces productives, des progrès scientifiques et techniques, de l’accumulation des richesses, il intervient une différenciation dans la classe inférieure, les paysans ou serfs.

Certains serfs s’enrichissent, et ils gagnent les petits bourgs, qui se développent et deviennent des centres commerciaux et culturels. De même, certains artisans s’enrichissent et agrandissent leurs ateliers. Ces éléments forment les premiers noyaux de la bourgeoisie. C’est cela qui constitue l’acte de naissance, puis l’essor de la classe bourgeoise. Bien sûr, l’enrichissement de quelques-uns uns se fait la plupart du temps au prix de l’appauvrissement de beaucoup d’autres paysans ou artisans qui, ruinés, constituent l’embryon de la future classe ouvrière, et des ouvriers agricoles. C’est là la cause interne du fondement du capitalisme. Une des causes externes de l’épanouissement du système capitaliste, c’est le développement du commerce international et des échanges.

Dans cette première étape, qui est celle de l’accession de la bourgeoisie au pouvoir politique, celle-ci joue un rôle révolutionnaire : elle guide et dirige l’ensemble du peuple vers la destruction de l’ancien régime. En effet, en face de la cible à abattre, le féodalisme, les intérêts de la bourgeoisie fusionnent avec les intérêts de l’immense majorité du peuple. Le mérite des premiers bourgeois est très grand : au lieu de dépenser leurs richesses en plaisirs, ou de les thésauriser, ils l’investissent, et par là, ils sapent la base du féodalisme, et préparent de nouveaux rapports sociaux.

Il apparaît au fur et à mesure une contradiction aiguë entre les forces productives (nouvelles, développées) et les rapports de production (anciens, étriqués, étroits). Il n’y a plus adéquation – équilibre – entre les deux aspects. Les anciens rapports de production constituent un frein, et il faut les détruire pour leur en substituer de nouveaux : c’est la tâche impartie au peuple, guidé par la bourgeoisie.

Quelles sont les étapes de ce processus ? Le commerce et l’industrie (la coopération (47), puis la manufacture (48) voient l’apparition de la bourgeoisie industrielle) jouent un rôle de première importance. La division du travail (49) accrue, l’introduction du machinisme et de la vapeur suscitent la naissance de la grande industrie et de la bourgeoisie moderne. Bien sûr, il y a interdépendance, interaction (A agit sur B, et inversement B agit sur A) entre ces éléments : commerce et industrie.

 

 

Le capitalisme a rendu plus complexe la division du travail, et cela a considérablement augmenté les forces productives. Prenons un exemple : un artisan fabrique des aiguilles en acier. C’est lui qui réalise tous les stades du processus (allonger le fil d’acier, le couper, limer la pointe, percer un trou, etc.). Mettons, arbitrairement, qu’il fabrique 100 aiguilles en moyenne par jour. Le simple fait d’introduire une nouvelle division du travail va considérablement augmenter la production. Par exemple, quatre ouvriers, concentrés dans un atelier, vont se partager le travail : le premier allonge le fil d’acier, le second le coupe, le troisième lime la pointe, etc.). A eux quatre, ils fabriqueront non pas 400 aiguilles, mais 1000 aiguilles par jour, et même plus. De plus, le travail sera mieux fait. Les ouvriers n’ayant qu’un geste assez simple à réaliser, vont gagner en dextérité. Ce sera aussi un gain de temps appréciable.

Bien sûr, l’introduction de nouveaux procédés techniques, de machines, etc., vont porter la production à des seuils encore plus élevés, mettons 10 000 aiguilles par jour en moyenne. Et ainsi le marché national sera saturé par ce produit : il faudra exporter, gagner de nouveaux marchés, d’où extension du colonialisme (50), et lutte entre nations bourgeoises pour posséder des colonies, ce qui développe les différents moyens de communication.

Le pouvoir de la bourgeoisie dans la société s’accroît en même temps que ses forces matérielles, que sa puissance économique. Elle prend de plus en plus de place dans la société, aux dépens des anciennes classes féodales.

L’œuvre Don Quichotte de Cervantès (51) illustre bien la décadence à tous les points de vue de la noblesse : mise en cause de toutes les valeurs du féodalisme, comme l’esprit chevaleresque, ce qui est la conséquence de la destruction de l’ancien monde. De même la pièce de théâtre Le Bourgeois gentilhomme de Molière (52) illustre bien l’accession d’une nouvelle classe, la bourgeoisie qui, encore incapable de supplanter l’ancienne classe féodale, aspire à l’imiter, et calque ses propres manières sur celles des maîtres de la société.

Pour illustrer l’épanouissement de la classe bourgeoise, Marx et Engels citent deux modèles concrets différents : l’exemple type du développement de la bourgeoisie du point de vue économique, c’est l’Angleterre, et l’exemple type du développement de la bourgeoisie du point de vue politique, c’est la France. Bien qu’il y ait différents développements, politique et économie sont profondément liées. Il y a parallélisme entre développement économique et développement politique de la bourgeoisie, l’un prenant à certains moments le pas sur l’autre.

Pendant une longue période, il y a accumulation de forces du côté de la bourgeoisie puis, à un moment donné, il y a transformation de la quantité en qualité, bond en avant, changement de société. Les acteurs de cela, ce sont les forces révolutionnaires (le tiers-état) dirigées par la bourgeoisie. La révolution bourgeoise de 1789 – « bourgeoise » par ses caractères et ses résultats, mais il y eut participation active et directe des masses populaires, cette révolution étant également (d’abord ?) un succès du peuple – est la résolution de la contradiction devenue très aiguë, arrivée à son terme, entre les nouvelles forces productives et les anciens rapports de production, entre les classes féodales et le peuple.

Grâce à cette révolution, la bourgeoisie s’est emparée de la totalité du pouvoir politique, elle a détruit l’Etat féodal et a pris en main les rênes de la direction de la société : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »(53).

Dans une première phase, la bourgeoisie a joué un rôle positif : elle a remplacé la conception féodale du monde par sa propre conception, plus évoluée, plus scientifique. C’est là un progrès historique. Elle a substitué aux anciennes mœurs de nouvelles mœurs : par exemple le mariage féodal (obéissance absolue des enfants aux pères, mariages arrangés, etc.) a été condamné et remplacé par le mariage bourgeois (plus d’autonomie de l’individu majeur). La bourgeoisie a condamné et critiqué l’idée d’un « ordre naturel » (on naît roi ou serf, et on ne peut rien y changer, etc.). A un système où régnaient la hiérarchie des privilèges de naissance et l’absolutisme, elle a substitué un système où règne, sous une certaine forme, dans les affirmations de principe, l’ « égalité politique devant la loi ».

Mais pour autant, la bourgeoisie a-t-elle remplacé le féodalisme par un système plus juste, où règne l’égalité sociale ? Non bien sûr. Elle lui a substitué un régime encore plus injuste, encore plus « inégalitaire » s’il se peut, car l’injustice et l’inégalité sont ressenties avec encore plus d’acuité. Le mirage de la religion s’étant estompé, les illusions s’étant dissipées, la bourgeoisie a remplacé les relations mystifiées par les rapports d’argent et l’égoïsme, l’individualisme outrancier priment. Elle a substitué à une exploitation voilée, une exploitation ouverte. C’est là l’aspect négatif de la bourgeoisie, aspect qui donne naissance à une nouvelle contradiction, entre bourgeoisie et prolétariat.

 

Liberté, égalité, fraternité (Partie 11)

 

Quels sont les caractères qui distinguent le mode de production capitaliste des deux modes de production antérieurs, esclavagisme et féodalisme ?

Le premier point, c’est que le capitalisme est un système en révolutionnarisation permanente. Sans cesse, il faut innover, appliquer la science à la production, ceci en raison de la concurrence entre capitalistes et de la poursuite du profit maximum. C’est une remise en cause permanente, rien n’est définitivement acquis et le résultat en est un développement considérable des richesses.

Le second point qui distingue le capitalisme de l’esclavagisme et du féodalisme, c’est que la bourgeoisie cherche à implanter son système partout : c’est le colonialisme. La bourgeoisie « forme un monde à son image » (54), c’est-à-dire qu’elle sape les fondements des sociétés colonisées, et ainsi accélère le processus de développement de l’histoire mondiale. Lorsque le marché intérieur est saturé par un produit, elle part à la conquête de nouveaux marchés, comme l’Inde ou la Chine. Elle importe également à bon compte les matières premières originaires de ces pays. Comme la production industrielle, la production culturelle s’internationalise également : les frontières tombent au profit d’un marché mondial et d’une civilisation uniques.

Bien sûr, cette exploitation des richesses matérielles et culturelles du monde entier se fait au profit d’un petit nombre de privilégiés : les campagnes sont soumises aux villes de plus en plus tentaculaires, les pays pauvres, ayant une population essentiellement rurale, sont soumis aux pays riches, dominés par les bourgeois, et les pays arriérés d’Orient sont soumis à l’arbitraire des pays industrialisés d’Occident.

Le capitalisme est une étape nécessaire par laquelle passe l’humanité, étape qui a comme conséquence de porter tant la production économique que la civilisation tout entière à un niveau supérieur : la propriété et le pouvoir politique sont plus concentrés en quelques mains.

La démarche de l’histoire est la suivante : le système féodal naît et se développe du sein de l’esclavagisme. Les force productives s’accroissent peu à peu, et on arrive à un point où ces nouvelles forces productives ne peuvent plus être contenues dans les anciens rapports de production, devenus trop étroits : c’est une contradiction résolue par le capitalisme, qui brise ces anciens rapports de production et en instaure de nouveaux, basés sur la concurrence, et correspondant aux conditions nouvelles.

Selon Marx et Engels, l’époque à laquelle ils se trouvent, présente les mêmes caractéristiques : à nouveau, les forces productives, grâce au capitalisme, se sont considérablement développées et à nouveau, elles ne correspondent plus aux rapports de production. Ce qui manifeste le mieux cette situation, c’est l’apparition périodique de crises du système (55). La bourgeoisie ne parvient plus à maîtriser le processus de la production qui, à certains moments, lui échappe complètement. C’est une nouvelle contradiction qui sera résolue par le socialisme. Dans ces périodes de crise, le système s’emballe et, paradoxalement, il y a surproduction (56) : la demande et l’offre ne coïncident plus. Pour résoudre ces problèmes, la bourgeoisie est contrainte, premièrement, de détruire une partie des forces productives, deuxièmement, de conquérir de nouveaux marchés ou d’exploiter plus rationnellement les anciens marchés. Cet état de crise peut disparaître momentanément, mais c’est pour préparer quelques temps après des crises pires encore. Leur solution est relative, jamais définitive, car les causes du déclenchement de ces crises cycliques demeurent : c’est le système capitaliste lui-même, c’est-à-dire la propriété des moyens de production dans un petit nombre de mains, d’une part, et la production de plus en plus sociale, par le grand nombre, d’autre part. Seule la suppression du capitalisme pourra apporter une solution définitive à ces problèmes. Ainsi les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour détruire le féodalisme, le développement des forces productives, ces armes se retournent contre elle : ces armes sont utilisées par le prolétariat en vue de la destruction du capitalisme.

 

  1. LE PROLETARIAT

 

La classe prolétarienne naît et se développe en même temps que la bourgeoisie : ce sont deux aspects inséparables d’une même réalité, et ces deux classes se transformeront et disparaîtront en même temps.

La classe ouvrière comprend les travailleurs obligés de vendre leur travail et qui produisent la plus-value (57), plus-value qui leur est escroquée par la bourgeoisie. Les travailleurs momentanément privés d’emploi, les chômeurs, appartiennent aussi à la classe ouvrière. Les ouvriers sont traités comme des marchandises, comme des objets soumis à la loi du marché du travail, où les patrons offrent et les ouvriers demandent du travail. Aussi il existe une concurrence entre les ouvriers, concurrence qui les divise et qui profite tout à fait à la bourgeoisie. La condition pour trouver du travail, c’est d’être rentable, de contribuer à l’augmentation du capital. Le travail perd de plus en plus de son intérêt, il est dévalué du fait de l’introduction des machines et de la division du travail. Le machinisme aggrave même les conditions du travail. Par exemple, autrefois, tel produit était fabriqué par un seul artisan, depuis la matière première, jusqu’au produit fini. Il pouvait avoir quelque intérêt à son travail, qui portait sa marque. Le fait de rassembler un certain nombre d’artisans dans un même local, dans un même atelier, permet de diviser la tâche. Déjà, le travail de chaque « artisan » ou ouvrier présente moins d’intérêt : il devient répétitif et monotone. Loin de simplifier le travail, ceci aggrave les conditions de production : il faudra travailler plus vite, sans n’y trouver aucun intérêt supplémentaire. Si, en plus, on introduit de nouvelles machines, la tâche de chaque ouvrier se trouve encore parcellisée, et perd un peu plus de son intérêt. Ce travail élémentaire, qui n’exige plus ni force physique importante, ni connaissance technique, pourra être exécuté par des femmes et même par des enfants.

Ainsi la société capitaliste fait disparaître les différences de sexe et d’âge en considérant chaque individu comme une force de production interchangeable. Il n’y a plus ni personnalité, ni caractère, ni différence, mais « égalité » devant l’exploitation par le dieu capital.

 

Comment est déterminé le prix du travail, c’est-à-dire le salaire ?

 

« Le prix d’un objet, donc le prix du travail est égal à son coût de production. » (58)

Plus tard, Marx et Engels reviendront sur cette thèse : le travail est une marchandise, et préciseront que les ouvriers vendent aux capitalistes non pas leur travail, mais leur force de travail (30). Le travail, comme n’importe quelle marchandise, est mesuré en fonction du temps socialement nécessaire à la constitution d’un travailleur (prix de sa nourriture, de son logement, de son habillement, de son éducation, etc.). Aussi, du fait que la qualité du travail baisse, son prix, le salaire, baisse également, et a tendance à demeurer au niveau d’argent juste indispensable à la survie du travailleur.

Sans cesse, les capitalistes ont tendance à augmenter la quantité de plus-value escroquée, soit en augmentant le nombre d’heures (plus-value absolue) (59) en faisant passer la journée de 10 à 12 heures et plus, soit en augmentant la productivité (plus-value relative) (60) en introduisant de nouvelles machines, en faisant travailler plus vite, etc.  .

Ainsi, le pivot de la société bourgeoise, c’est la recherche du profit maximum, et la classe des travailleurs est modelée sur cet impératif, cet objectif transformant les ouvriers en esclaves de la classe bourgeoise, des chefs, des petits chefs et des machines. L’ensemble de la société se militarise, avec d’une part un grand nombre de soldats, qui ne comptent pour rien, et d’autre part, une élite dirigeante, avec entre les deux une hiérarchie d’officiers et de sous-officiers :

« Ce despotisme est d’autant plus mesquin, odieux, exaspérant, qu’il proclame ouvertement le profit comme son but unique. » (61).

Cette exploitation effrénée de la classe ouvrière dans l’entreprise se poursuit également dans toute la vie quotidienne, en particulier au cours de la consommation.

De nombreux éléments des classes moyennes ne supportent pas la concurrence, sont ruinés, et tombent dans le prolétariat : c’est ainsi que le nombre des prolétaires s’accroît par le paupérisme général.

Avant la révolution bourgeoise, il y avait union entre le prolétariat et la bourgeoisie pour abattre l’ennemi commun : la noblesse. Mais entre les deux classes existaient déjà des conflits d’intérêt, des oppositions, une contradiction à l’état naissant : déjà le prolétariat était exploité par la bourgeoisie. Les ouvriers se concentraient dans les villes, là où il y a l’industrie ; au début, ils manifestaient leur opposition à l’exploitation par des rébellions individuelles, qui rencontraient des succès éphémères, ou en brisant leurs machines. L’oppression était ressentie instinctivement. Le prolétariat constituait, dès le départ, une classe en soi, mais non encore pour soi (62). Bientôt le prolétariat s’organise en classe, puis en parti politique.

Une partie de la bourgeoisie, au cours du mouvement révolutionnaire, se rallie au prolétariat : bourgeois ruinés, ou intellectuels bourgeois ayant la prescience de l’avenir de l’humanité, comme Marx et Engels eux-mêmes.

La contradiction principale oppose la bourgeoisie au prolétariat, mais il existe d’autres contradictions qui, si le prolétariat sait les utiliser, lui profitent : la bourgeoisie est divisée en fractions rivales qui luttent entre elles, ces fractions représentant différents partis et donc des intérêts divergents. La bourgeoisie dans son ensemble lutte également contre l’aristocratie. Enfin, la bourgeoisie d’un pays lutte contre les bourgeoisies des autres pays.

Les classes moyennes ont une double nature : de fait, elles se sentent plus proches de la bourgeoisie, mais en voie de prolétarisation, elles peuvent devenir révolutionnaires et des alliés du prolétariat.

Quant au prolétariat, il n’a pas de famille, pas de propriété, pas de nationalité, pas de religion. L’ouvrier ne peut espérer s’en sortir : la révolution prolétarienne est pour lui une nécessité car la bourgeoisie est incapable de régler les contradictions qui minent le système.

La différence essentielle entre la révolution prolétarienne et les révolutions antérieures est que, pour la première fois dans l’histoire, cette révolution a pour objectif la défense des intérêts de la majorité et la suppression de la domination d’une minorité de privilégiés sur la majorité des travailleurs.

 

 

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